Tu es ravi de pouvoir profiter de ton week-end, loin de la morosité qui s’immisce dans ton quotidien depuis maintenant quelques mois. C’est certain, tes années passées à l’armée te semblent bien loin. Tu ne t’en plains pas vraiment non plus – les horreurs auxquelles tu as assistés t’ont marqué à vie, et il t’arrive encore d’en faire des cauchemars, te réveillant tremblant de sueur. Les terreurs nocturnes ne sont pas les seules à te hanter, toutefois. La folie est là, te narguant jour après jour. Semblable à l’ombre qui te suit où que tu sois, tu ne parviens pas à t’en débarrasser. Cette folie : ta femme en a fait les frais. Elle a succombé à ce qui aurait dû t’être fatal. Au lieu de quoi, tu respires encore, comme si de rien n’était. Ô destin funeste. C’est sans doute la raison pour laquelle tu es ravi de pouvoir quitter ces murs qui te servent de foyer, et de lieu de travail. Tu as besoin de te changer les idées et d’oublier, le temps de quelques heures, l’anormalité qui te caractérise. Une journée simple, normale, et pourtant si agréable.
Tu ignores encore comment, mais Cinaed a réussi à se procurer des billets pour le prochain match de rugby entre l’équipe d’Edimbourg et celle des Glasgow Warriors. En fier patriote que tu es, il va de soi que tu soutiens l’équipe de ta ville. Depuis l’enfance déjà, tu assistais à tous leurs matchs en compagnie de ton père. L’armée t’a fait manquer pas mal de confrontations, mais tu comptes bien te rattraper maintenant que tu es revenu. Tu ne remercieras jamais assez ton meilleur ami de s’être dégoté deux billets pour ce match-là, et de t’y avoir invité. En tant que grand passionné de rugby, tu n’as tout simplement pas pu refuser une telle offre et une telle opportunité. Et puis, quelle meilleure occasion pour oublier son quotidien et ses soucis qu’un match de rugby en compagnie de ton meilleur ami ? A boire des bières et à manger des hot-dogs tout en hurlant à chaque essai, tel les hommes très machistes que vous êtes ? Du moins, en apparence. Votre physique vous fait souvent paraître bien plus impressionnant que vous ne l’êtes en réalité. Deux rats de bibliothèque, dissimulé sous une façade extérieure très masculine. L'habit ne fait pas le moine, comme dirait l'autre.
Délaissant tes cours et un nombre effarant de copies derrière toi, tu enfiles le premier pantalon qui te passe sous la main (en l'occurrence, un pantalon noir) ainsi que le sweat-shirt blanc et rouge Edinburgh Team, obligatoire pour une telle occasion. C'est bien nécessaire. Les matchs de rugby ne sont pas un défilé de mode, et le superflu n'est pas la bienvenue (sans mauvais de mots). Entre les effusions de testostérones et les nombreuses bousculades, les fins de matchs se résumaient très souvent à des vêtements dégoulinant de sueur et de bière, et des marches de joie (ou de déception) dans les rues jusqu'au bout de la nuit. Rien de bien sexy dans toute l'histoire. Mais au contraire du football (sport que tu exècres plus encore que les canards en tutu rose), les supporters de rugby étaient bien plus amicaux entre eux. Tu ne t'es d'ailleurs toujours pas remis de la fois où un grand gaillard suédois t'as pris pour son ours en peluche lors d'un match affrontant le Pays de Galle à la Suède. L'image en aurait fait frémir plus d'un.
Lorsque tu arrives chez Cina, celui-ci est déjà prêt, et vous n'attendez pas une seule seconde pour vous rendre au Murrayfield Stadium où les gradins se remplissent déjà à vitesse grand V, et l'odeur de hot-dogs te parvient déjà aux narines à peine les portes franchies. " Je ne te remercierai jamais encore pour nous avoir dégoté les meilleures places. Je vais chercher la bière, je te rejoins. " La bière, boisson typiquement écossaise, et typiquement rugby.