Power resides only where men believe it resides

J'observe les ouvriers qui tournent et tourbillonnent, ballet bien ordonné pour préparer un vernissage. Je les observe tel Dieu observant des fourmis, sans vraiment les voir, j'ai bien autre chose en tête que ce vernissage qui hier encore occupait toutes mes pensées.
Ils n'ont pas besoin de moi, de mes conseils ou de mes ordres, ils savent ce qu'ils ont à faire, l'artiste est venu hier, on est dimanche, la galerie est fermée au public et pourtant elle n'a jamais autant bruissé d'activités.
Outre les ouvriers qui dansent et virent, plaçant les oeuvres d'art aux endroits désirés et préparant le buffet de ce soir on a vu arriver des inconnus que ma secrétaire, membre du Coven, n'a pas voulu éconduire. Car depuis hier je suis officiellement Suprême de mon Coven.

On ne m'a pas vraiment demandé mon avis, du moins on n'en a pas vraiment tenu compte. Je ne suis pas assez expérimenté, assez âgée, assez sage pour diriger le Coven. Si je fais une erreur tant de gens en souffriront, j'ai peur, peur de me tromper, peur de ne pas être à la hauteur, peur d'avoir tous ces gens comptant sur moi, se fiant à mes choix, mes décisions.

Bien sur j'aurais des conseillers, bien sur j'ai quand même la quarantaine et je ne suis pas une gamine écervelée, bien sur je suis puissante et j'ai un grand savoir théorique au sujet de la magie, mais je ne souhaite pas cette responsabilité.

En réponse à mes pensées le tonnerre gronde soudainement, un ouvrier sursaute, l'orage gronde depuis hier murmurent-ils. je soupire, ferme les yeux, me concentre et force la météo à m'obéir au lieu de suivre mes sentiments. Je vais devoir faire plus attention, une Suprême ne peut pas laisser tout un chacun lire en elle comme un livre ouvert. Les gens ne doivent pas voir que je suis terrifiée.

Je soupire, écoute la pluie tomber doucement sur le velux, rafraîchissante en cette chaude journée de printemps et me détourne de la galerie où les ouvriers virevoltent, imperturbables, ignorant tout de mes hésitations et doutes. Je me dirige vers mon bureau espérant me plonger dans les lettres reçues récemment d'artistes présentant leurs œuvres pour être exposés, mais ma secrétaire m'arrête avant que j'ai atteint la porte.

Je l'écoute m'expliquer qu'un homme est à la porte et qu'il lui semble qu'il soit un lou-garou. Je hoche la tête en retenant un soupir, je ne suis pas Suprême depuis 24h, je ne peux pas déjà demander à démissionner.....Si tant est que la démission soit jamais une option, d'ailleurs. Je lui demande de le faire attendre un instant dans le petit salon attenant à mon bureau et me diriger dans ce dernier.

Une pièce sobre à la décoration minimaliste, de grands murs blancs, une porte-fenêtre donnant sur le parc où trônent quelques sculptures, un bureau en verre sur lequel repose une pile conséquente de lettres que je n'ai pas encore lues. Contre le mur près de la porte une armoire à dossier presque remplie, je vais devoir en acheter une autre. Sur le coté une prote donnant sur le salon d'attente et en face une autre porte, aussi blanche que le mur et très discrète mène à une petite salle d'eau. J'y entre pour me rafraîchir le visage et vérifie ma tenue d'un oeil critique dans le miroir. Je porte un tailleur crème qui met en valeur ma couleur de peau et ma taille fine, mes cheveux indisciplinés flottent en boucles libres autour de mon visage.

Sortant de là je me dirige vers la porte du petit salon et inspire profondément afin de me donner une contenance avant d'ouvrir la porte avec un sourire :

"Bonjour, entrez je vous prie".

Dehors la pluie tombe encore, légère et douce, je sais donc que je le conduirais vers la porte fenêtre qui donne sur une petite terrasse protégée par un auvent où une table en bois toute simple me permet de parler avec les artistes quand je ne veux pas rendre l'entretien trop officiel.