Let's do this, it will be fun (robin)

Let's do this, it will be fun

Il y a des tas de façon de bien commencer une journée.  Et se réveiller sur son bureau, une bouteille vide à côté d’elle ne fait pas partie de ce que Robin appelle une bonne façon.  Elle s’étire, faisant craquer ses articulations endolories puis tente de réassembler ses souvenirs de la veille.
Fort heureusement, la cafetière est juste à côté et elle a eu la sagesse d’esprit, la veille, de le préparer de façon à ce qu’elle n’ait qu’à appuyer sur le bouton.  
C’est sous la douche qu’elle se souvient de ce qu’il s’est passé la veille. Son andouille de voisin, en train de s’engueuler avec son mec. Robin, avec une bouteille dans le nez et à court de patience. Forcément, les choses n’ont pas très bien tournés.  En tout cas, c’est ce que l’hématome que Robin a sur le côté droit du visage atteste. Il n’était pas la veille. Et maintenant qu’elle y pense, elle a mal.
En sortant de la douche, elle s’arrête devant le miroir et efface la buée se trouvant sur la surface d’un geste de la main. Ah oui, elle se souvient maintenant. L’autre imbécile lui a lancé une télécommande à la gueule. C’est surprenant, ça change, mais surtout, ça fait mal. Pas autant qu’une paire de Doc Martens en pleine face ceci dit.
La prochaine fois, je le balance du balcon songe Robin en touchant prudemment son hématome.  Elle se rassure en songeant à l’état de son voisin. Des mois qu’il lui court sur les haricots, celui-là. Depuis qu’il s’est installé en fait. Ce n’est que le troisième voisin avec lequel Robin en vient aux mains. Comment bosser tranquillement et recevoir des clients quand ça braille à toute heure du jour et de la nuit ? Elle ne peut pas les empêcher de penser trop fort. Certains jours, quand elle ne boit pas assez, elle peut entendre les pensées de ses voisins de pallier comme s’ils se trouvaient dans la même pièce qu’elle. Il y a donc deux solutions. Se bousiller les oreilles en travaillant avec un casque et en mettant la musique à fond. Ou alors, picoler un peu plus. Elle choisit toujours l’alcool. La musique, c’est bien sympa mais ça n’a pas la même saveur qu’un bon verre de scotch ou de whisky. Mais elle peut leur demander de fermer leur gueule quand ils en viennent à hurler comme des putois. En général, un coup dans le mur suivi d’une insulte est suffisant. Mais il arrive qu’elle doive se pointer chez eux et leur remettre les pendules à l’heure. Façon Robin.
En sirotant son café, les cheveux mouillés et juste habillée d’un tee-shirt et d’un boxer, piochés au hasard dans le bordel qui lui sert de placard,  elle regarde si elle a des rendez-vous dans la journée. Certains clients se pointent sans prévenir. D’autres appellent pour prendre rendez-vous. Sa dernière affaire remonte à plusieurs jours. Une femme jalouse qui pensait que son mari la trompait avec une jeunette. Le cliché. La petite jeunette s’avérait être un petit jeune, en réalité. Voilà, merci, au revoir, je vous envoie la facture et démerdez-vous. Robin ne fait pas dans la thérapie de couple. Elle fournit les preuves qu’on lui demande et basta. Le reste, ce n’est pas son problème. C’est ce qu’on appelle le professionnalisme. Certaines femmes s’imaginent que Robin leur remontera le moral par solidarité féminine. Premièrement, la solidarité féminine est un concept qui lui est étranger. Deuxièmement, on lui demande de fouiller dans les ordures. Elle le fait. Après, il faut assumer.
Le café a été remplacé par un verre de whisky. Son premier verre de la journée qu’elle savoure.  Son abruti de voisin est soit dans le coma après la dérouillée qu’elle lui a collé, soit parti travailler car tout est calme dans l’immeuble aujourd’hui. Enfin calme. Aussi calme que ça peut l’être quand le retraité du troisième fait gueuler sa télé. Mais là, Robin ne dit rien. Le pauvre vieux est sourd comme un pot. Il ne peut pas faire autrement.

Elle entend les esprits de Mai avant même qu’elle n’arrive. Elle jette un regard au verre et à la bouteille qui traine sur le bureau. D’un geste rapide, elle balance presque le whisky dans le tiroir et file rapidement dans sa chambre pour enfiler un jean et un pull, de quoi être présentable. Merde. Son appartement est en bordel. Vive le professionnalisme.
Pas de panique, c’est Mai. Elle me connait.
Elle manque de tomber en enfilant sa paire de Doc Martens à la hâte et se rattrape de justesse au meuble. Ses cheveux sont toujours en bataille, elle a cet énorme hématome sur la face, mais ce n’est pas grave. Au moins, elle est habillée. Et puis Mai et Ewen ont l’habitude.  Elle se dirige vers la porte en entendant frapper. A l’instant où elle ouvre à Mai, elle reçoit un concert de bonjour venant des esprits de cette dernière.  Un demi-sourire se dessine sur les lèvres en guise de salutation et s’efface pour la laisser passer.
« Salut les gars. Salut Mai. Installe-toi, je vais chercher des tasses. »
Et planquer le massacre de son appartement.
En fouillant dans son placard, Robin se force à respirer calmement. Elle connait bien Mai. Pas étonnant qu’elle connait Ewen, mais ce dernier est son meilleur ami depuis des années. Les esprits des jumeaux, elle en a l’habitude. Pas besoin de faire les intermédiaires, elle peut tenir une conversation avec eux sans problème. Le seul problème étant qu’ils sont incroyablement bavards. Et que certains ont la fâcheuse habitude de parler tous en même temps.
Elle ramène deux tasses dans le bureau et allume la bouilloire à côté de la cafetière. Robin a une préfère pour le café mais l’amour que porte Mai pour le thé n’est pas un secret. Elle se tourne vers elle pendant que le gargouillis de l’eau en train de chauffer se fait attendre. Et à peine le temps de lui demander ce qui l’amène que Mai lui répond déjà.
Elle veut l’employer.
Si Robin était en train de boire quelque chose à ce moment-là, nul doute qu’elle aurait craché et manqué de s’étouffer sous la surprise. Elle qui a toujours un coup d’avance sur ses interlocuteurs grâce à ce don – un don, ça ? Ahaha, une malédiction, oui – elle ne s’attend vraiment pas à ça. Abasourdi, elle fixe Mai durant quelques secondes en se demandant si cette dernière est en train de plaisanter. Ah non. Elle est sérieuse. La bouilloire émet un sifflement pendant que Robin reprend ses esprits.
« Mai… Je te connais personnellement. Ce n’est pas très déontologique de travailler pour quelqu’un qu’on peut compter dans son cercle d’ami. Je peux te donner l’adresse d’un confrère si tu veux. »
Le seul confrère avec lequel Robin n’est pas en froid. Ses méthodes musclées et sa façon d’être ne plait pas à tout le monde. Ce n’est pas pour rien qu’on peut compter ses amis sur les doigts d’une main. Elle a plus d’ennemis.
Si Mai l’engage, Robin aura la tâche de lui annoncer des trucs pas forcément sympa, même si elle ignore tout de l’affaire. Annoncer des mauvaises nouvelles, quand il y a la barrière client/privé, ce n’est pas difficile. Ce qui l’est, c’est quand la barrière n’existe plus et qu’il faut le dire à des amis.

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Elle entend les esprits de Mai, une cacophonie très familière. Elle entend aussi son amie se demander qui lui a fait l’hématome qu’elle a sur le visage. Un mur n’est pas suffisant. C’est pour ça qu’elle se réfugie dans l’alcool en général. Mais la fureur de Mai est si forte qu’elle ne peut pas l’ignorer. D’une certaine manière, ça l’embête qu’on s’inquiète pour elle. Elle pourrait dire qu’elle est assez grande pour se gérer toute seule. Mais elle ne peut pas. Parce que certaines personnes, contrairement à elle, sont capables de s’inquiéter pour les autres. Elle pousse un soupir et pendant qu’elle est encore de la cuisine, prononce d’une voix claire pour que Mai et ses esprits l’entendent.
«Oui, je vous entends. Et t’inquiètes pas pour moi. C’est mon abruti de voisin et son mec qui se sont mis à brailler hier soir. Je suis allée les voir et l’autre n’a pas apprécié que je lui demande de la fermer. Il est toujours en vie, si tu jamais tu demandes.»
Elle a déjà eu pire qu’une télécommande en pleine gueule. Son adversaire n’est pas un champion du combat rapproché. Certes, pour taper au hasard sur ses mecs, il sait y faire. Mais pour les coups précis, on pouvait repasser. Elle connaît deux ou trois personnes qui s’y connaissent et qui sont responsables de certains... «accidents» de Robin.  Des côtes cassées, des traumatismes crâniens et elle en passe. Elle n’a encore jamais reçu de balles et elle n’est pas pressée que ça arrive, étrangement. Ce n’est pas un métier tranquille qu’elle a choisi de faire. Jusque là, elle a réussi à éviter de finir avec des béquilles. Et ce serait bien que ça reste comme ça.
«J’ai entendu pour le fauteuil.»
Elle dit ça avec un air enjoué et un petit sourire qui lui donne l’air d’une enfant. On peut laisser tomber le masque qu’elle se force à enfiler quand elle est face à des clients. Mai l’a déjà vue à l’œuvre en dehors des heures où elle joue à «Robin, la détective». Surtout quand elle cultive son amour pour l’alcool avec les jumeaux en se mettant dans des états pas possible certains week-end. Elle n’est pas une grande fan des fêtes mais elle sait apprécier les moments entre amis. Tant que ça n’implique pas une soirée drague où elle est obligée de porter une mini-jupe et des talons ou de s’habiller d’une façon qui ferait lâcher à ces grenouilles de bénitier des versets de la Bible. C’est déjà arrivé quand Jean l’emmenait avec elle à des fêtes, malgré le désaccord de ses parents.
Bon, par contre, la requête de Mai la met dans une position délicate. Parce qu’elle ne peut pas accepter. Elle n’a pas particulièrement envie de fouiller dans le passé du peu d’amis qu’elle a. Elle doit déjà avaler les différentes informations qu’elle apprend sans le vouloir. Mais refuser n’est guère mieux. Car si Mai vient la voir, c’est forcément que cette affaire pour laquelle elle veut l’employer nécessite une personne de confiance. Robin est coincée. Car ce serait douter de Mai de penser qu’elle va en rester là.

Elle ignore la petite dispute entre Mai et ses esprits à propos du mariage et se tourne pour remplir les deux tasses. Celle de Mai et la sienne servie, elle s’installe sur un coin du bureau en croisant les bras. Elle écoute Mai attentivement. Forcément, si elle utilise l’argument de l’argent... Et de la confiance, bien entendu. Robin secoue la tête en la maudissant. Sacrée Mai. Elle pousse un soupir et rejette la tête en arrière.
« Bon... En admettant seulement que j’accepte. En admettant, hein ?»
Elle n’a pas besoin de finir sa phrase car Mai sait alors qu’elle a gagné. Elle a attisé la curiosité de Robin. Et son envie d’aider. C’est moche de la jouer comme ça. Vraiment moche. Mais bon, au moins, Mai part avec un gros avantage. Robin la connaît et sait qu’elle n’est pas du genre à s’en prendre à elle si les informations qu’elle lui fournit ne lui plaisent pas.
« Dis-moi de quoi il s’agit.»
Elle se demande si elle n’est pas en train de faire une connerie en acceptant. Cela ne lui plaît pas. Elle s’est toujours interdit de fouiller dans la vie privée de ses amis. Même si avec les esprits et son don, ils n’ont pas vraiment de vie privée quand elle est dans les parages. Avec Mai et Ewen, Robin n’a pas besoin de cacher qui elle est. Et puis ces derniers connaissent les limites des dons de Robin, donc ils savent comment contourner la super-radio pirate qui est branchée en permanence à l’intérieur de son crâne si besoin. Si elle savait comment la débrancher, d’ailleurs... Cela lui éviterait bien des problèmes. Et de voir le côté difforme de la race humaine, avec ses pires aspects. Comme si elle ne le voyait pas déjà assez avec son métier. Mais là n’est pas la question.

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Elle écoute Mai, sans dire un mot. Elle ignore à nouveau les interventions des esprits, qui ont cette fabuleuse tendance à s’éloigner du sujet et à gratifier Mai et Robin de leurs petits commentaires. Sans bouger, elle l’observe se pencher pour chercher quelque chose dans son sac. Elle prend la photo et l’observe. C’est très étrange de voir une photo de Mai. Elle regarde le jeune homme sur le cliché et devine à la façon dont il est proche de son amie qu’il y a quelque chose entre eux. Mai et lui sont souriants, se tiennent proches l’un de l’autre. Et surtout, Robin aperçoit les alliances. Avant même que Mai ne dise son nom, Robin a déjà compris. Elle s’est toujours demandé d’où vient le «Bowman» accolé au «Fraser». Maintenant, elle le sait. Elle a dans les mains une photo du mari de Mai. Et c’est donc lui qu’elle doit chercher. Elle comprends mieux pourquoi Mai a fait appel à elle. Les questions ne tardent pas à affluer dans l’esprit de Robin. Les pensées de Mai l’informent qu’il s’est passé quelque chose de pas drôle entre eux. C’est sans doute une affaire plutôt délicate et ça explique pourquoi Mai exige une personne de confiance, c’est à dire Robin, pour s’en charger.
«Tu veux donc que je retrouve ton mari. Je comprends mieux.»
Elle se redresse, décroise le bras et fait le tour de son bureau pour aller s’asseoir en face de Mai. Elle va avoir besoin de détail si elle veut le retrouver. Un nom, ce n’est pas suffisant. Un visage non plus.
«Voyons voir.»
En soupirant, Robin se penche pour ouvrir un tiroir. Pas celui où elle garde sa bouteille, non. Celui où il y a un tas d’exemplaire de contrat. Elle prend le premier de la pile, et le pose sur le bureau, devant Mai. Pas de traitement de faveur. Elle va devoir traiter Mai comme une cliente ordinaire et non comme une amie. Robin ne marchera donc pas sur des oeufs si jamais elle trouve quelque chose de pas sympathique. Et puis elle connaît Mai. Elle n’est pas le genre femelle hyper sensible qui ne sait pas ce qu’elle veut. Elle espère tout de même que cette dernière changera d’avis, dans un éclat de lucidité. Robin a sa manière de gérer des affaires qui ne font pas plaisir à entendre. Elle offre un sourire contrit à Mai avant de dire :
« Voici le contrat standard. Lis-le attentivement et signe-le si tu veux toujours que je me charge de ça.»
Et c’est avec un air perplexe que Robin voit alors Mai s’emparer du tas de feuilles reliés entre elles par une agrafe et signer directement, sans prendre le temps de le survoler. Elle retient une exclamation. C’est comme ça que les gens se font avoir, à signer sans lire. Heureusement qu’elle est réglo avec ses contrats. Bon, ça veut dire qu’elle n’a plus le choix, maintenant. Elle reprend donc le contrat et ajoute sa signature à la fin. Plus de retour en arrière possible. Se saisissant du bloc note qui trône en permanence à côté de l’ordinateur, elle fixe Mai.
«Commençons par le commencement, donc. Je t’écoute.»
Ce n’est pas une affaire qui sort du lot, quand on regarde bien. Des gens qui ont recours à des privés pour chercher leurs conjoints et leur donner les papiers du divorce, c’est plus courant qu’on veut le croire. Presque autant que les femmes doutant de la fidélité de leur mari et inversement. Robin en a l’habitude. Et quand il s’agit de plonger tête la première dans la vie de couple des gens qu’elle ne connaît pas, elle ne fait pas la difficile. Cette affaire va demander beaucoup de neutralité à Robin.

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Sans lever les yeux du bloc-note, Robin juge bon de dire :
« Je vous entends, les gars. Je ne vais pas arnaquer Mai. »
Elle ne se vexe même pas, elle se contente de secouer doucement la tête en levant les yeux au ciel.  Bon, au moins, elle sait que Mai, comme ses esprits, du moins Temp, lui font confiance.  Elle ne connait pas grand monde qui aurait signé un contrat comme ça, sans se poser plus de question. Mais bon, quand même. Quand on a un contrat en face de soi, on le lit. Enfin, bon. C’est signé, maintenant. Pas la peine de revenir en arrière.  Robin n’abandonne une affaire que si la sécurité de ses clients ou la sienne en dépend.  Et dans le dernier cas, ce n’est pas tout à faire sûr, puisqu’elle n’est pas contre un peu de challenge.

Elle regarde Mai, attendant qu’elle prenne la parole. Quand cette dernière lui demande si elle doit commencer par sa relation ou des informations générales, Robin se contente de lui répondre que ça n’a pas d’importance pour elle. Déjà, en parlant, Mai va livrer des informations sans réellement le savoir. Ce premier entretien est capital puisqu’en commençant à se confier, le client se met généralement à penser à des détails, détails que Robin ne laisse jamais de côté en les notant religieusement car ils sont souvent bien plus importants qu’on peut le penser. Et c’est l’expérience qui parle. Sur son bloc note, elle inscrit donc « AFFAIRE BOWMAN » en lettre capitale et ajoute la date d’un coin. Les investigations viennent de commencer.
Elle écoute Mai en prenant des notes, soulignant le dernier endroit où il a été vu, ce qu’il faisait avant que Mai ne le perde de vue. Elle ajoute également les informations sur sa famille, en prise de note rapide.  Elle redresse la tête en entendant le mot magique qui va sans doute lui donner une piste. Une adresse. C’est bien ça.
Mai, t’es géniale
Ah merde, c’est vrai que contrairement à elle, Mai ne peut pas entendre ce qu’elle pense. Elle prend l’enveloppe et offre un sourire qui se veut rassurant à son amie.
« C’est super. Ça me permettra d’avoir un endroit où commencer. »
S’il y a bien une personne qui sait où trouver quelqu’un, c’est généralement la mère d’une personne. Surtout celle d’un homme. Même si de nombreuses affaires incluent de retrouver des gosses qui se sont barrés de chez eux. Mais ça, c’est encore autre chose. Elle note les adresses, en écoutant Mai lui expliquer qu’elle préférerait que la mère d’Aidan ignore qu’ils sont mariés. A un moment, la voix de Mai se brise et Robin s’arrête de noter, levant la tête vers elle. Merde. Robin ne sait pas comment réagir, là. Elle doit lui tendre la boite de mouchoir, la prendre dans ses bras comme une amie le ferait ? Elle ne sait pas, car même si ça l’embête de l’avouer, il n’y a pas la frontière cliente-privé entre elles. Doit-elle lui laisser le temps de se ressaisir ? Sans dire un mot, Robin repose son stylo et repousse sa chaise. Elle saisit la boite de mouchoir qui se trouve sur le meuble derrière elle et marche jusqu’à Mai pour la lui remettre en main propre.  Elle entend Mai s’excuser intérieurement pour ça avant qu’elle ne se mette à expliquer pourquoi il est difficile pour elle de lui en parler. Trois ans qu’il est parti ? Il s’est barré en laissant Mai ? L’immonde enfoiré.  Erf. La neutralité, Robin, la neutralité.  
« Ce n’est pas grave. Tu n’es pas la première à fondre en larme dans mon bureau. Si tu veux mon avis, tu arrives très bien à te contenir. Et si tu veux que je lui démonte les dents en lui donnant les papiers du divorce, ça ne te sera pas facturé, ce sera offert par la maison. »
C’est une tentative maladroite pour lui remonter le moral. Robin est plus douée pour casser des gueules que pour réparer des cœurs. Mai le sait. Elle reprend sa place au coin du bureau, se contentant donc de saisir le bloc note et le stylo pour noter. Peut-être que le fait qu’il n’y ait plus de table entre elles mettra Mai plus à l’aise ? Elle hoche la tête quand cette dernière lui explique que ce sera plus simple pour elle de répondre à des questions. Robin tapote légèrement sur le bloc-note avec le stylo avant de se lancer.
« Est-ce que tu sais pourquoi… il est parti ? Enfin, dans quelles conditions vous vous êtes quittés ? Est-ce qu’il s’est juste barré comme ça ? »

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Elle dissimule habilement sa déception. Dommage qu’elle ne puisse pas lui casser les dents. Elle, qui pourtant, attend d’avoir tous les éléments à portée de main avant de se forger une opinion sur quelqu’un... On peut dire que c’est raté. Mais c’est surtout parce que cette fois-ci, le cas qu’on lui a confié touche directement une personne qu’elle apprécie. Forcément, son côté protecteur prend le dessus sur son côté rationnel qui sépare les émotions et le travail.
Temperance n’a visiblement pas une bonne opinion du mari de Mai et ce que son amie lui confie par la suite ne l’étonne qu’à moitié. Robin place une de ses mèches de cheveux derrière son oreille en écoutant la suite du récit de Mai.
De l’extérieur, sans connaitre tous les détails, Robin se dit qu’elle est face à un cas classique. Des jeunes gens follement amoureux l’un de l’autre, qui se marient très vite – parfois trop vite – et que le temps finit par séparer. C’est une erreur courante que beaucoup de couples font. Certaines séparations se passent bien. D’autres en revanche sont un combat de tous les instants. Surtout s’il y a des enfants dans le lot.  Robin a déjà été engagée par des gens qui voulaient d’elle qu’elle trouve des saloperies à présenter lors du divorce pour que ses clients puissent soit destituer l’autre de ses droits de parents ou alors pour demander de l’argent. Elle attire souvent les clients prêts à tout pour détruire la réputation de quelqu’un. Et heureusement, des fois, des gens comme Mai viennent taper à sa porte. Des gens qui veulent seulement de l’aide.
Elle se serait bien passé de la remarque de l’un des esprits de Mai sur les emmerdes que cette dernière s’attirait à Londres. Elle sait à propos de ça, mais elle préfère ne pas revenir dessus. Ce n’est pas ça qui l’intéresse, c’est les circonstances de sa séparation avec Aidan. Mai ne revient pas sur les vols et c’est tant mieux.
Elle hausse un sourcil en revanche quand elle aborde le passage de l’hôpital. Ça aussi, elle le sait, merci sa super-radio branchée dans son cerveau. Et les esprits, qui n’ont pas de tabous, ne se privent pas pour faire part à Robin de la moindre petite erreur de parcours de Mai.  Mais ce qu’elle ne savait pas, c’était que ce passage à l’hôpital se situait juste après sa dispute avec Aidan.  Et Robin qui voulait savoir les conditions de la séparation entre son amie et son mari – futur ex-mari – sur le coup, elle est servie.  
Robin se redresse et repose le bloc note. Aidan peut être n’importe où à l’heure qu’il est. Elle va devoir commencer par trouver sa mère et espérer que cette dernière ait des informations sur l’endroit où se trouve son fils. Sinon, elle va devoir se rendre à Londres elle-même. Pour y avoir déjà fait quelques crochets, elle n’est pas particulièrement fan de l’Angleterre. Le climat et les buveurs de thé, non merci. Londres est vaste et en trois ans, il peut se passer énormément de chose. Elle a un nom, sa dernière adresse connue et sa situation professionnelle. C’est déjà un bon début. Internet va être d’un grand secours.  Pour une fois, ce ne sera pas une affaire qu’elle fera traîner sur des plombes.  La vie de personne en dépend,  mais Mai a besoin de ça pour avancer. Pas besoin des esprits ou de lire dans sa tête pour le savoir.
« Je vais donc commencer par chercher des informations sur lui sur le net. Ensuite, j’irais voir sa mère pour lui demander si elle sait où se trouve son fils. Je ne sais pas encore comment je vais aborder ce sujet, mais je vais bien finir par trouver. »
Ce ne sont pas les occasions qui manquent pour ça.  En fouillant un peu, elle peut trouver. Le coup de l’ex-petite amie, ça marche souvent mais pour Aidan, elle va devoir chercher autre chose. Et elle se voit mal se faire passer pour une ex du mari d’une de ses amies. Sur le papier, ça peut paraitre une bonne idée, mais dans la réalité, c’est un plan foireux.
«En général, j’appelle mes clients tous les trois jours pour leur faire part de ma progression dans une affaire. Sauf si je découvre quelque chose de très important. »
C’est un refrain qu’elle sert à chaque nouveau client. Mai n’y fait pas exception.
« De ton côté, si tu te rappelles de quelque chose qui peut m’aider ou si… je ne sais pas...tu... tu retombes par hasard sur des trucs de ton ancienne vie avec lui, comme des lettres, des photos, des factures avec vos deux noms et que tu penses que ça peut m’être utile, n’hésites pas à m’appeler ou à m’envoyer un message. »
Elle se permet enfin d’avaler une gorgée de café et elle désigne la bouilloire à Mai.
« Si tu veux te refaire un thé, fais comme chez toi.  Mi casa es tu casa. »

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La mère d’Aidan a donc des problèmes de santé remontant à trois ans en arrière. Bon à savoir, ça. Robin l’ajoutera à la liste d’information plus tard. Parce que du coup, ce genre de chose peut compléter changer la façon dont elle va s’approcher de Mrs Bowman, si c’est bien son nom de famille. A creuser. Et si elle n’a pas toute sa tête, là, ça va être problématique. La tête des « tarés », Robin connait bien. C’est l’une des raisons pour lesquelles elle avait failli se jeter par une fenêtre dans ce centre où ses parents adoptifs l’avaient collée pour la forcer à se sevrer.  La seule chose qui l’en avait empêché, c’était ces barreaux à chaque fenêtre. Certaines drogues affectent le cerveau du consommateur et il y avait avec elle des jeunes de son âge qui avaient complètement perdus la boule. Et malheureusement pour Robin, sans alcool et sans drogue pour tenir les voix à distance, ça avait été l’enfer. Les rechutes avaient été nombreuses.
Elle se concentre sur Mai pour ne pas avoir à replonger dans cette partie de son passé qu’elle aimerait bien oublier.  Ou plutôt sur Padraig, en train de râler parce qu’au téléphone, Robin ne pourrait pas les entendre. Elle se retient très fort d’ajouter que c’est l’un des avantages. Avoir une conversation avec Mai et rien qu’avec elle, en voilà une bonne idée. Mais visiblement, tous les trois jours, c’est trop pour Mai. Elle peut comprendre. Elle hoche donc la tête. En espérant que cette affaire ne soit pas trop longue et n’exige pas beaucoup de déplacement, sinon, le portefeuille de Mai va le sentir passer. Et si elle peut éviter que Mai ne soit forcée de vendre sa boutique pour payer ses frais, ce serait bien.

Robin relève la tête en sentant la main de Mai sur son bras et lui adresse un petit sourire. Les jumeaux font parties des rares personnes à pouvoir la toucher sans qu’elle ne se dégage ou qu’elle grimace. Robin n’est pas une grande fan des contacts physiques. L’habitude, à force de tabasser ou de se faire tabasser. Quand vous avez un hématome quelque part et que quelqu’un vous touche précisément à cet endroit, vous n’avez pas forcément envie que ça se reproduise. Elle pourrait mettre ça sur le compte de son métier mais son aversion pour les contacts physiques remonte à plus loin que ça.
Robin sort son ordinateur du mode veille et commence à retaper les différentes informations qu’elle a notées plus tôt. Cela peut paraître inutile mais ça aide Robin à les mémoriser et à aborder l’affaire en explorant ainsi plusieurs options. Alors qu’elle se concentre sur les notes qu’elle a prise, elle perçoit le fouillis qui a lieu dans les pensées de Mai. C’est normal. Le fait d’en parler avec Robin a forcément eu pour résultat de faire ressurgir des souvenirs de sa vie passée. Et sa relation avec le dénommé Matt dont les esprits ont parlé quelques instants auparavant. Elle a bien envie de lui demander qui est ce Matt mais Mai passe déjà à autre chose.  Elle parle des affaires qui lui restent et de sa phobie du tri. Pas besoin de lire dans les pensées ou d’être détective privée pour le savoir. Il suffit juste d’aller chez Ewen et elle. Ceci dit, Robin n’est pas non plus maniaque. Le bordel ambiant, ça la connait aussi. Il n’y a qu’à voir la partie appartement qui se trouve derrière la porte.

Elle hausse en sourcil en voyant alors Mai sortir plusieurs pochettes contenant des papiers. Et bien. Pas besoin d’attendre, finalement.   Elle enregistre chacune des informations que Mai lui donne. Première pochette, papiers du divorce et Aidan peut aller se gratter pour avoir Holmes. Noté. Deuxième pochette, factures, tickets de caisse et tout un bordel qui va révéler ses secrets quand Robin fourrera son nez dedans.
« C’est super, ça. Les gens ont tendance à négliger ce genre de détail car ils pensent qu’un ticket de caisse n’a rien à dire. Or, c’est tout le contraire. Bravo, les gars. »
Féliciter les esprits apporterait à Mai un semblant de paix. Ils ne sont pas méchants, c’est pour ça que Robin les aime bien, même s’ils sont de vrais pipelettes. Robin, c’est un peu leur public quand Mai et Ewen les ignorent superbement à la moindre connerie qu’ils racontent.
Robin repose les pochettes et se saisit à nouveau de son clavier pour noter que Mai n’a pas de nouvelles de la demande qu’elle a envoyé. Depuis fin décembre. Mmm. Normalement, elle aurait dû recevoir ne serait qu’un mail ou une notification, non ? Étrange, ça.  Elle hausse en sourcil en y réfléchissant.
« Hum… C’est bizarre tout ça. »
Ni l’avocat, ni cette Adalyn n’ont d’informations. Il faut espérer que la mère aura des choses à dire.  
Elle lève la tête vers Mai qui appréhende sa propre réaction face à Aidan.
« J’aimerais pouvoir te rassurer mais même moi, je ne sais pas comment je réagirais à ta place. »
On peut compter sur Robin pour ne PAS aider. Elle est sérieuse, cependant. Ne s’étant jamais elle-même investie dans une relation à long terme, à part une fois, au lycée, elle ne sait pas comment réagir. La vie de couple, c’est un monde à part pour elle.
« Ne t’excuses pas. L’avantage, c’est qu’avec toi, je sais dans quoi je mets les pieds. T’es pas le premier débile venu qui débarque après avoir trouvé mon nom dans l’annuaire et qui pense pouvoir me rouler en passant des détails sous silence. »
Elle ponctue sa phrase d’un rire amer. C’est triste à dire, mais Mai fait partie de cette rare catégorie de clients honnêtes qui font leur possible pour aider. Elle repousse sa chaise et soupire. Mai a besoin de se changer les idées, Robin la sent sur le point de craquer.  Sortir un peu et penser à autre chose, même si c’est quelques heures lui fera du bien. Et permettra à Robin de faire de même avant d’attaquer sérieusement l’affaire Bowman.
« Tu veux qu’on aille prendre l’air ? Y’a un restaurant au coin de la rue qui propose des plats végétariens. Le proprio m’en doit une, donc c’est moi qui invite. »