RP COMMUN ✝ les holy trinity à la st giles cathedral

La cathédrale Saint Giles réclamait sa présence. Ainsley demeurait pourtant obstinément figée devant la haute stature du bâtiment, écrasée tant à la fois par son imposante architecture que par les souvenirs qui y étaient rattachés. Les Forrester étaient toujours parmi les rangs serrés des oies du Seigneur ; il ne se passait pas un seul Dimanche sans qu’elle ne soit obligée de se vêtir pour l’occasion, de sortir sa plus belle robe, d’être parfaite. Afin de ne pas attirer l’attention, de laisser les regards inquisiteurs couler sur eux. Il ne fallait pas que les gens sachent à quel point sa famille était liée aux affaires surnaturelles, il ne fallait pas que le moindre soupçon soit soulevé. Parce que si leur secret venait à être éventé, ils n’auraient plus le moindre effet de surprise sur leurs proies et qu’en plus de ça, la Holy Trinity n’opérait que dans l’ombre. A ce propos… Kenneth posa une main au creux des reins de sa sœur pour l’inciter à avancer. Il lui adressa un sourire avenant, sachant pertinemment ce qui la retenait sur le seuil de l’église. Elle n’avait pas besoin de l’entendre prononcer les mots qu’elle lisait dans ses yeux – avec un soupir, elle lui emboîta le pas. Leur père et leur second frère se trouvaient déjà sur les lieux depuis longtemps. Seul leur cadet allait demeurer aux abonnés absents. Parfois, Ainsley lui enviait sa liberté. Il avait su se maintenir à l’écart, trouver sa voie alors qu’elle s’était fourvoyée. Kenneth lui céda le passage à l’entrée et, tirant nerveusement sur le col de sa veste à capuche sombre aux motifs de camouflage, elle se faufila le plus silencieusement possible. Bien évidemment, être silencieux dans ce genre d’endroit relevait du domaine de l'impossible… Surtout lorsque l’audience se terrait dans un silence presque mortuaire suite à l’ordre impérieux énoncé par le révérend. Elle ignorait s’il avait fait un long discours juste avant, mais elle était déjà ébranlée par l’injonction qu’il venait d’adresser à son troupeau. Ainsi, en dépit des rumeurs, Rushmore n’avait pas été directement mandaté par les hautes instances. Il avait fait cavalier seul, il avait foiré et désormais, la congrégation s’efforçait de ramasser les pots cassés avant que les autorités ne viennent fourrer leur nez trop loin dans leurs affaires. Prête à rester debout si besoin, Ainsley remarqua cependant assez rapidement qu’un homme lui faisait signe – d’un air fortement agacé d’ailleurs – à l’autre bout du banc. Elle louvoya entre les personnes présentes, se glissa à ses côtés et retint un sourire rebelle.

« Je demandais au Seigneur de bien vouloir m’épargner cette épreuve… Je ne connaissais Jason Rushmore que de nom, ce type était encore plus cinglé que toi sur certains points. Pas étonnant qu’il ait craqué. S’il te plaît, si ça doit t’arriver, préviens-moi à l’avance : j’aimerais autant ne pas être dans ton sillage. » rétorqua la chasseuse dans un murmure sarcastique et provocateur. « Au fait, Gabe, merci de m’avoir gardé une place. J’te revaudrais ça. »

Malgré leurs divergences d’opinion sur beaucoup de points – notamment la religion et le rôle de la Holy Trinity – Ainsley appréciait sincèrement le quadragénaire. Elle n’avait que treize ans lorsqu’il s’était engagé auprès du Seigneur, il était probablement l’un des plus vieux chasseurs encore en vie avec son père. Elle croisa les jambes sur son pantalon cargo noir, lui adressa un regard équivoque et dévisagea les personnes qui les entouraient. Si l’un d’eux connaissait la cache de Rushmore, parlerait-il ? Ce type avait massacré une gamine. Elle savait que si elle mettait ce sujet sur le tapis, beaucoup n’hésiteraient pas à dire qu’il avait bien fait – même si sa méthode manquait cruellement de discrétion. Quelques années plus tôt, elle n’aurait probablement pas été aussi tatillonne sur la méthode, néanmoins elle n’était plus cette femme-là. Elle estimait que quitte à punir l’adolescente, Rushmore aurait dû la ramener vivante, ou au moins la tuer proprement. Dans le meilleur des cas, elle aurait même préféré qu’il la laisse vivre sa vie, mais elle n’était plus une enfant que l’on berce d’illusions. Elle coula un regard vers Gabriel – aurait-il agit de la même façon que Rushmore à sa place ? Aurait-il tué cette gamine, sans états d’âme ? Parfois elle se demandait encore ce qu’elle faisait là. Et d’autres fois, lorsqu’elle tombait sur une pourriture surnaturelle, elle se réjouissait d’être restée. Le monde n’était peut-être clairement pas composé uniquement de noir et blanc, mais certains gris n’étaient pas si loin des ténèbres.

« Les flics vont fourrer leur nez partout après ça. Il va vraiment falloir faire attention… Bordel, manquait plus que ça. »