Isaiah { Let me see your fearless when the darkness come.

Isaiah était généralement de bonne humeur. Généralement. À vrai dire, cela faisait longtemps qu’il ne s’était pas senti aussi déprimé. Quand ça lui arrivait, c’était de manière intense et sans répit.  Au point qu'il lui fallait être seul avant qu’il s’énerve sur quelqu’un, se transforme en corbeau et ne puisse pas redevenir humain comme ça lui arrivait souvent plus jeune.

Il avait reçu du courrier de sa plus jeune sœur. Comment avait-elle trouvé où il était ? Ses sœurs et sa mère n’étaient au courant que de son compte bancaire où elles versaient son indemnité chaque mois. Quoiqu’il en soit, c’était un mystère, mais peu étonnant. Les femmes Gold étaient pleines de ressources et en 18 ans de vie commune, Isaiah l’avait expérimenté plus d’une fois. Sa plus jeune sœur, Jordan, lui indiquait que leur mère était malade depuis plusieurs jours et qu’elles s’inquiétaient. Jusqu’à présent, elle n’avait pas cherché à le contacter, ne serait-ce que pour lui souhaiter son anniversaire. Isaiah avait froissé le papier et jeté la lettre dans la poubelle la plus proche. Que pouvait-il y faire ? Il n’avait pas le droit de retourner à Inverness et sa mère, elle-même, l’avait chassé. Pour autant, il ne pouvait s’empêcher de s’inquiéter.

Il avait erré toute l’après-midi dans les rues d’Édimbourg, s’était fait payer des verres par un groupe de jeunes filles après avoir fait un ou deux sourires enjôleurs, puis avait tiré les cartes pour un couple d’amoureux sortant d’un restaurant. La nuit était à présent bien avancée, mais il n’avait aucune envie de rentrer dans la cage à lapin qui lui servait de chambre. Il avait demandé à un homme en costume s’il avait une cigarette, puis à une jeune femme qui sortait de boîte si elle avait du feu avant de marcher jusqu’aux docks. Il s’était assis près de la jetée, contemplant au loin un point d’horizon qui n’existait pas tout en fumant doucement.

Il sentit la présence d’Oskar avant qu’il n’ouvre la parole. Il avait une présence différente de toutes les autres personnes qu’il connaissait. Plus imposante, peut-être. Sa nature devait sans aucun doute jouer là-dedans. Imposante ou pas, Isaiah n’était pas d’humeur ce jour-là et sans se rendre compte il lui avait intimé de « dégager ». Il l’avait regretté presque immédiatement. Il aimait bien Oskar surtout depuis qu’il l’avait sauvé d’un chat qui avait essayé de l’avaler tout cru après qu’il se fut transformé en corbeau. D’ordinaire, il l’aurait suivi partout pour lui poser des questions, surtout si celui-ci était suffisamment de bonne humeur pour lui adresser en premier la parole.

Après avoir lâché un nuage de fumée, Isaiah tourna son regard vers le vampire. Il n’était encore qu’un novice en matière de créature surnaturelle. Mais il avait vite compris que les créatures à dents longues semblaient capables de déterminer le lever du soleil. Plutôt pratique, il fallait l’admettre. Oskar avait encore les lèvres tâchaient de sang comme s’il avait mis grossièrement du rouge à lèvre. Isaiah l’observa quelques secondes : la couleur vive du sang frais. « Tu viens de manger quelqu’un ? » demanda-t-il. « C’était bon ? ».  Isaiah n’avait pas encore compris à toutes ces histoires de poches de sang, de vampire et de comment ils se nourrissaient. Mais il lui semblait qu’il ne valait pas qu’il sache trop non plus.

Il fuma quelques instants en silence essayant de trouver le courage de s’excuser pour son manque de politesse. « Et je suis toujours content de te voir. » Il soupira et passa une main dans ses cheveux avant de continuer, « C’est que j’ai reçu des nouvelles de quelqu’un que je n’attendais pas. Ce ne sont pas forcément de bonnes nouvelles en plus. » . Il finit par rire en pensant au ridicule de l’instant. Lui jeune sorcier à ruminer du noir et se plaignant à un vampire qui venait sans doute de vider quelqu’un de son sang et qui sûrement devait en avoir rien à faire de ses états d’âme.

« Ça ne te dérange pas de ne pas pouvoir voir la lumière du jour ? » Demanda-t-il en fixant l’horizon. « Enfin, je ne sais pas, y’a des vampires depuis des siècles non ? On aurait pu croire que vous auriez trouvé un truc depuis le temps. »

Discuter avec Oskar, c’était toujours un peu déroutant. Isaiah avait beau être plutôt à l’aise avec les gens, lorsqu’il s’agissait du vampire, il avait parfois un peu l’impression de marcher sur des œufs cassés. Il avait du mal à capter et comprendre les expressions et réponses du vampire. Est-ce que ce rictus était un sourire ironique ? Sarcastique ? Amusé ? Isaiah ne savait pas, mais il avait décidé que du moment qu’il ne finissait pas assommé c’est que tout allait bien. Après tout Oskar était un vampire et suffisamment puissant, Isaiah en était sûr, pour se débarrasser du jeune homme s’il était trop encombrant. Et tant bien même, son embarras n’était pas suffisamment important pour primer sur sa curiosité et son admiration pour l’homme immortel.  

C’était peut-être pour ces raisons-là qu’Isaiah fut légèrement surpris de voir comment sa question à propos des vampires et du soleil fit baisser les yeux à Oskar. Il s’était attendu à ce que le vampire lui jette au mieux un regard et au pire ignore sa remarque comme il le faisait régulièrement lorsqu’ils échangeaient. Il se rendait bien compte qu’il réfléchissait peu avant de parler. Peut-être qu’il avait touché un nerf sensible cette fois-ci ? A la réponse d’Oskar, Isaiah eut un petit rire avant de répondre « Bon, de toute façon, ça vous évite les frais en crème solaire …ce n’est pas plus mal. » Réponse un peu pathétique. Isaiah laissa tomber à côté de lui le mégot de cigarette et sortit une nouvelle de la poche de sa veste. Il prit plusieurs minutes pour sortir son briquet, allumer la flamme qui s’éteignit plusieurs fois à cause du vent et finalement alluma sa cigarette. Tout ça pour se donner contenance ; le geste était rassurant, presque réconfortant.

Ce ne fut qu’au bout de plusieurs minutes qu’Isaiah se rendit compte qu’il venait de vendre sa réelle nature et il manqua de se taper le front avec son poing. On lui avait dit de faire attention et ne pas se confier à tout va. Ses sœurs lui avaient répété inlassablement toute son enfance, car il avait été très tôt évident que le jeune homme était dans un autre monde, dans un monde où on ne se rendait pas compte de suite de ce qu’on laissait échapper.  Certes, il connaissait Oskar, mais sans aucun doute pas assez pour lui dire tous ses petits secrets. Qui plus est, il lui était bien difficile de comprendre le vampire taciturne. Il s’était juste laissé aller à sa nature curieuse, à toujours vouloir savoir plus. Un jour, ça lui jouerait des tours. Curiosity kills the cat, après tout.

Il lui fallut encore deux minutes pour répondre. Il n’allait pas mentir. Ce serait bien trop évident. Oskar n’était pas idiot en plus. Il sourit et il finit par répondre, un peu gêné : « Hm, par ma mère, oui. » C’était assez court et ça ne racontait pas tant de choses que cela. De toute manière, il imaginait déjà Oskar s’endormir d’ennui s’il venait à raconter son passif et celui de sa famille et ce n’était pas le genre d’explication qui se faisait en quelques secondes. « Mais nous ne sommes plus en contact. » conclut-il en haussant les épaules. Un geste voulant signifier qu’il s’en fichait. Mais un geste qui le trahissait en montrant que c’était une désinvolture feinte. Encore une fois, il se doutait qu’Oskar se fichait certainement de ses états d’âme.

Pendant quelques minutes, il resta silencieux, occupé à observer la fumée s’échapper dans les airs. Il avait toujours envie d’engager la conversation avec Oskar, mais il savait aussi que celui-ci n’avait qu’une patience très minime. Isaiah finit par sourire pour lui-même et se tourna vers Oskar. « Puisque je t’ai dit mon petit secret, je peux me permettre ? Tu as quel âge en vrai ? Tu te rappelles d’avant ? » Isaiah du tact ? Aucun.