La vérité attend. Seul le mensonge est pressé
En l'an mille deux cent quarante-huit de notre ère naissait un petit poupon à la fine chevelure brune. L'enfant était le premier d'un couple d'artisans de l'influente ville de Florence. La demoiselle grandit donc dans ce monde de création, lovée dans l'amour de ses parents et le regard brillant d'émerveillement devant ces pièces de bois qui ne cessaient de se révéler devant elle. Au fils des ans la famille s’agrandit et Cassiopea devint bien vite l'ainé de deux garçons qu'elle entreprit rapidement de materner avec bienveillance malgré son jeune âge. En ce temps là, la ville était déjà florissante mais se déchirait régulièrement entre quelques familles et autres forces politiques qui se disputaient le pouvoir. Au milieu de ces batailles de quartiers la famille arrivait à sortir son épingle du jeu et à vivre convenablement. Les enfants grandissaient, la jeune Cassiopea s'épanouissait de jour en jour, rêveuse elle pouvait rester des heures à observer des œuvres d'art ou tout simplement la beauté du monde. Elle restait cependant bien les pieds sur terre et s'attachait avec application à toutes les tâches qui pouvaient aider ses parents tout en gardant un œil sur ses frères turbulents.
Lors de sa seizième année, la demoiselle accompagna son père lors de la remise d'une commande d'une famille de petite noblesse comme elle le faisait bien régulièrement. Et alors qu'elle se tenait en retrait des conversations d'affaires la jeune femme ne put s'empêcher de remarquer qu'un regard ne semblait la quitter. Elle qui se tenait le visage respectueusement incliné osa relever brièvement le regard pour croiser celui qui la fixait ainsi et qui était un des fils du propriétaire des lieux. Ne sachant que penser de ce phénomène, Cassiopea demeura immobile jusqu'à ce que l'heure du retour arrive et qu'elle emboîte le pas de son père. Et alors que se dernier se félicitait sur le chemin du retour, la demoiselle demeurait troublée par cette silhouette insistante. Alors lorsqu'il se présenta quelques jours plus tard à l'atelier de son père, la demoiselle ne put qu'en être un peu plus perturbée. Il annonça son désir de faire une nouvelle commande mais Cassiopea put bien vite constater qu'il avait juste trouvé là un prétexte. Le jeune homme se mit en effet à venir régulièrement pour évaluer l'avancée de la commande mais le fait est que cette commande l'intéressait moins que la fille de l'artisan qu'il approchait de manière bien courtoise. Cette dernière, troublée, n'en était pas moins réceptive et ils apprirent à se connaître ainsi jusqu'à ce que, bien après que cette nouvelle commande soit achevée, l'homme réclame la main de cette jeune femme qui l'avait charmé avec innocence. Étant le dernier dans la succession familiale, le petit noble avait bénéficié d'un peu plus de laxisme parental pour choisir sa compagne même s'il avait dû se monter ferme pour que son choix soit accepté mais c'est ainsi que Cassiopea grimpa deux échelons dans la vie sociale de Florence. Cependant, il fallait bien l'avouer, la jeune femme n'avait pas grand chose à faire de cette élévation, elle était amoureuse et c'était là tout ce qu'elle pouvait chérir.
Les années passaient et le couple était toujours aussi bien formé. Cassiopea découvrit les quelques futilités de la vie de noblesse et ne s'y attacha que pour ne pas faire défaut à son mari. La seule chose qu'elle apprécia véritablement fut la découverte de ces salons si richement décorés par des toiles qui faisaient de plus en plus leur apparition. Fascinée par ces peintures elle réussit à croiser le chemin de quelques maîtres de cette nouvelle ère avec lesquels elle tenta même de s'initier à cet art.
Cette nouvelle vie, la jeune femme l'appréciait donc. La seule ombre au tableau étaient ces luttes intestines au cœur de la belle Florence desquelles elle s'était un peu plus approchée avec son mariage. Certaines de ces nobles familles qui se disputaient la ville la rendait des plus mal à l'aise. Ils semblaient passer leurs nuits à comploter, à fomenter des alliances ou à les déchirer et dans ce lot purulent se détachaient quelques silhouettes que la demoiselle avait toutes les peines du monde à croiser. C'était notamment le cas de la sœur du seigneur Donati dont la beauté froide et envoutante avait le don de la mettre mal à l'aise et si vous ajoutiez les regards envieux qu'elle semblait lui lancer à chacune de leur rencontre il était aisé de comprendre le malaise qui étreignait notre Cassiopea.
Alors quand un soir cette créature sculpturale se présenta chez elle avec une lettre, la jeune femme fut glacée d'effroi. Elle ne comprit pas ce qu'une Dame avec qui elle avait très peu parlé venait faire chez elle alors que son mari était parti depuis peu au combat mais attrapa la lettre qui lui était tendue. C'est en lisant les mots qui lui annonçaient la mort de son époux que la jeune femme s'effondra, délicatement récupérée par sa visiteuse qui sembla s'employer à la réconforter sans grande conviction. Mais Cassiopea n'écoutait plus, son mari n'était plus, l'homme qu'elle aimait ne lui reviendrait pas et c'était là un vide sans fond qui se dévoilait sous ses pieds. Elle ne réagit donc pas lorsque la femme lui suggéra de venir chez elle pour ne pas rester seule dans cette épreuve, elle la suivit tel un fantôme et laissa le piège se refermer derrière elle.
Cette période demeure flou, même encore aujourd'hui. Elle sait qu'elle a intégré la villa des Donati où elle rencontra d'autres âmes aussi étranges que la propriétaire mais qu'elle n'avait jamais vu auparavant. Rongée par la douleur de la perte, Cassiopea ne fit jamais attention aux mots de son hôte, à la dérive la jeune femme était incapable de percevoir ce qui l'entourait jusqu'à ce qu'un beau jour elle s'éveille, déchirée par une faim qu'elle ne connaissait pas. Le brouillard dans laquelle la perte l'avait plongé semblait s'être rétracté et son esprit était enfin à même de contempler son état qui avait bien changé.
Celle qui s'élevait sous les traits fraternels de Corso Donati était en réalité un de ces êtres de la nuit qui tenait les fils de la marionnette humaine qui servait de seigneur. Une vampire qui appréciait d’agrandir sa famille comme elle le souhaitait et ainsi prendre le pas sur la concurrence de la nuit qui régnait sur la ville. Elle avait depuis longtemps choisi Cassiopea mais avait été patiente, appréciant croire que ses futurs enfants venaient à elle librement elle avait attendu que ce lien que la jeune femme chérissait périsse. Quoi de mieux pour provoquer cela qu'une guerre ? La jeune vampire ne se douta pas aussitôt de la responsabilité de sa créatrice dans son chagrin, il faut bien avouer qu'elle fut bien trop occupée à appréhender et à juguler cette nouvelle vie qu'elle ne savait apprécier.
Les temps qui suivirent furent jalonnés de morts mais aussi de confrontation avec d'autres représentants de son espèce. Cette vie après la mort ne semblait avoir plus qu'une raison: répondre aux désirs de sa créatrice avide de pouvoir qui savait magner ce jeu à la perfection. Ses quelques enfants étaient des pions dont elle savait user et les scrupules ne semblaient pas être un concept qu'elle pouvait connaître. Cassiopea demeura perdue bien longtemps, se surprenant à apprécier ses activités parfois sanglantes, souvent brutales mais n'admettant jamais de reconnaître cette part d'elle qui continuait de l'effrayer.
Le temps s'écoulait donc inexorablement et avec lui quelques facultés propre à son espèce apparaissaient. Cassiopea accueillait cette évolution son grand enthousiasme et ne s'étonnait plus vraiment de ce qu'elle pouvait faire ou non. Aussi lorsque cette forme d'intuition se développa face aux mots de mortels la demoiselle n'y prit pas garde. Pourtant chaque mot des hommes semblait prendre des nuances de vérité ou de mensonge à ses yeux, elle savait qui désirait la leurrer ou non. Cette capacité elle usait sans véritablement en faire attention, il était ainsi plus simple de tirer des informations aux humains et son travail devint plus précis. Cette évolution n'échappa guère à sa créatrice qui se pencha sur ce pion qui semblait prendre de la valeur.
Ravie de découvrir l'évolution de sa fille, la vampire décida de la garder plus souvent auprès d'elle, se servant de la demoiselle comme d'un détecteur personnel, lui permettant ainsi de conclure ses affaires et ses plans avec plus d'efficacité. Et cette évolution n'échappa guère aux camps adverses.
Les années s'écoulaient, le seigneur Donati était décédé au combat mais sa "sœur" était déjà bien implantée et réussie à passer au-dessus de cette déconvenue. Elle usait avec un plaisir évident des talents de sa fille qu'elle entraînait avec grand intérêt, développant peu à peu ce don d'une si grande utilité dans ce monde de mensonges et de faux-semblants. Cassiopea pour sa part commençait enfin à sortir de cette torpeur qui l'avait suivi durant des décennies, son regard se faisait plus critique sur cette vie qu'elle menait et bientôt la conviction qu'elle ne voulait pas passer son éternité ainsi l'empoigna. Mais l'emprise de sa créatrice était trop forte pour que cette rébellion prenne forme et la demoiselle continua de vivre ainsi quelques années encore.
Mais la "clairvoyance" de la Donati qui s'accordait si bien avec ses affaires attisait le feu des ses ennemis et après maints essais, un soir de l'an mille trois cent soixante-seize fut fatal à la créature de la nuit. La perte de sa créatrice effraya ses enfants et les plongèrent dans un état de faiblesse dont peu en sortir vivant. Cassiopea eut la force de s'enfuir mais échoua au confins du royaume de Florence. Apeurée par cette nouvelle perte de repaires et affaiblit, la demoiselle demeura cachée, ne sortant que pour se nourrir. Alors qu'elle retrouvait peu à peu ses forces, son esprit reprit aussi un peu d’éclat: elle était libre et allait devoir en profiter.
C'est alors que Cassiopea embrassa véritablement, et pour la première fois, sa vie d'immortelle. Toujours passionnée par les arts, notre vampire ne tarda pas à suivre les traces de quelques artistes, les rencontrant, les observants, apprenant même cette fois véritablement. Sa fascination ne semblait jamais vouloir s'éteindre et cette nouvelle vie aurait pu lui être parfaite s'il n'y avait pas cette faim à laquelle elle devait répondre. Mais à chaque arrêt dans son voyage, ce qu'elle était finissait toujours par la rattraper. La Donati était morte mais son secret ne l'avait pas suivi dans l'au-delà, la rumeur courrait donc et la suivait comme son ombre: elle détenait un don qui pouvait ouvrir bien des portes.
Sa vie était donc jalonnée de période heureuse et de fuite pour échapper aux peurs, aux colères ou aux jalousies de ce monde de magie et de croyance qui se mêlait à celui des humains. Elle parcourra ainsi l'Italie, l'Espagne mais aussi le royaume de France, parfois sa tranquillité pouvait durer des années mais les convoitises finissaient toujours par la rattraper. Il faut dire aussi que son don prenait peu à peu de l'ampleur, de moins en moins de créatures pouvaient échapper à cette épée de la vérité et peu à peu la demoiselle commençait à sentir la différence entre conviction et véracité. Cependant, malgré ces développements, les craintes de certains étaient infondées, Cassiopea n'avait nulle envie de se servir de ce don pour prendre l’ascendance sur quiconque, elle n'aspirait qu'à vivre cette vie d'immortelle dans une relative tranquillité et en accord avec l'humanité.
Les siècles passaient, le monde changeait mais elle n'arrivait toujours pas à se défaire de ses ennuis. Parfois on la piégeait pour qu'elle use de son don et réponde à quelques interrogations, parfois on attentait à sa vie d'immortelle, ces expériences n'étaient guère agréable et même son exil vers la jeune Amérique ne lui offrit une durable tranquillité. Cependant une opportunité finie par se présenter, après tous ces siècles de chasse la réflexion semblait prendre enfin le pas. Une rencontre fut organisée entre quelques représentants de catégorie ou d'espèce plus ou moins différentes et durant cette étrange assemblée le
cas de l'immortelle fut discutée. Une alliance émergea alors devant le fait que chacun pouvait avoir un jour ou l'autre l'utilité du don de la demoiselle et qu'il était donc peut-être préférable de l'avoir à leur côté plutôt que de la contraindre. Une proposition émergea alors: une assurance de protection ou du moins de tranquillité, en échange de ses services. Cet arrangement Cassiopea le valida, espérant trouver là de quoi écarter les difficultés qui l'entravaient.
Et Cassiopea débuta ainsi une nouvelle partie de sa vie d'immortelle. Assurée du certaine tranquillité tant qu'elle respectait sa part du marché elle pouvait enfin cesser d'être aux aguets. Rare étaient ceux qui lui demandaient de l'aide, réclamer sa présence c'était accepter le fait qu'une part de son propre jardin secret pouvait être dévoilée au regard de la vampire, c'était s'exposer soit pour résoudre un problème qui parfois ne nous concernait pas personnellement. Bref, peu de ce monde ont un jour osé convoquer la Confessor.
Hormis quelques voyages pour honorer sa promesse, Cassiopea demeura donc en Amérique et s'établit finalement au Canada. Elle rejoignit un groupe d'immortels qui ne voyaient pas d'inconvénient de l'accueillir et qui partageaient sa vision du monde. La demoiselle trouva pour ainsi dire une famille avec laquelle elle évolue depuis plusieurs décennies déjà. Elle a trouvé la stabilité qu'elle avait tant recherché durant des siècles et se livre à sa passion des arts, notamment en réparant les dégâts du temps sur des toiles qu'elle a parfois vu naitre.
Il y a quelques jours de cela, après quelques années de répits, elle reçu une missive officielle: la Camarilla Écossaise demandait sa présence pour les aider à éclaircir des faits qui mettaient en périls les arrangements qui liaient leur monde. Les termes officiels et procéduraux étaient véridiques, Cassiopea ne pouvait donc qu'accéder à la requête et c'est pour cela qu'elle est arrivée depuis peu au cœur d'Edimbourg.