( Cassius ) Play the game

L’heure approche. Dan n’a pas besoin de voir la lumière du soleil décliner pour le savoir. Elle le sentait. Au plus profond de ses entrailles, la louve s’éveillait à chaque seconde qui s’écoulait. Plus la lumière s’étouffait dans le crépuscule, plus elle grognait d’impatience, tiraillant déjà ce corps qui l’emprisonnait. Ce n’était jamais un bon moment, la douleur s’insinuait dans chaque fibre de son être, jusqu’à gangréner chacun de ses mouvements. Même respirer lui semblait insupportable, pourtant, allongée sur le lit, elle semblait relativement calme. Les yeux clos, souffle qu’elle tentait de maitriser, elle s’astreignait à l’immobilité. Seul le soubresaut involontaire qui la parcourait de temps à autre témoignait de ce qu’elle endurait. Si au début, quand l'ignorance était encore sienne, elle luttait contre cet état, à présent, elle savait que le mieux qu’elle avait à faire, s’était juste de se laisser aller. Accepter. Et attendre la mort de son humanité pour que la bête puisse renaitre des lambeaux de chair qui en resteraient.
Elle s’est isolée à la maison de campagne familiale, prétextant à sa tante qu’elle avait besoin de calme pour étudier. Bien heureuse de la voir si disciplinée, celle-ci avait acceptée de l’y emmener avant de repartir. Seule, l’adolescente n’avait pas perdu de temps pour s’écrouler dans sa chambre, après avoir ouvert la porte vitrée qui s’y trouvait, ressentant déjà les prémices de sa transformation.

Un cri lui échappe alors que la souffrance la plie en deux. Elle ne contrôle plus rien, ni les battements frénétiques de son cœur qui s’acharne à vouloir quitter sa poitrine, ni ses inspirations de plus en plus irrégulières. A l’encontre de la raison, elle sourit pourtant, alors même que les larmes se peignent sur son visage. Elle sourit. Parce qu’elle sait que l’heure de la bête approche. C’est tellement contradictoire que de désirer cette douleur violente et inhumaine, mais c’est le seul chemin qui mène à la liberté.
Ses mains se posent sur son ventre, cherchant à en déchirer la peau de ses doigts qui perdent peu à peu leurs ongles, traçant de larges sillons vermeils sur la porcelaine de son corps. Elle la lacère tandis qu’un nouveau hurlement perce ses lèvres en même temps que ses crocs. Elle tombe au sol, essayant de se relever, y retombant aussitôt. Elle peut sentir chacun de ses muscles, chaque os se déformer pour prendre un nouvel alignement dans un craquement lugubre qui brise à son tour le silence. Sa conscience s’efface, une autre prend sa place. Plus sauvage et primitive, se délaissant d’une morale bien trop pesante. Inutile. Il n’y a plus de colère ou de rage non plus. Plus de sentiment handicapant. Plus de passée, plus de présent, plus d’avenir. Il n’y a que cet appel que la brise fraiche venu de l’extérieur excite en elle. Il n’y a plus que la nuit qui lui tend ses bras et ouvre un royaume qui ne connait nulle frontière si ce n’est le jour. Face à ses évidences, la Louve s’élance quittant avec un empressement les lieux. L’ombre rejoint l’obscurité et disparait sans laisser de trace de son passage.

Elle traverse les forêts en une course effrénée, suivant tantôt une odeur, tantôt une envie subite de se dégourdir les pattes, se plaisant de chaque sensation. Le vent qui s’engouffre dans son pelage aussi sombre que les ténèbres, les bruits environnants trahissant la présence de proies potentielles, le parfum de la pluie qui ne tardera pas à tomber, chacun de ses sens est en émoi et l’éclabousse de merveille. Elle s’arrête à un point d’eau, s’étirant de tout son long, tandis que la faim commence à la tarauder. Elle lève son museau vers la lune, humait l’air méthodiquement. Mais lorsque son regard se braque dans une direction, ce n’est pas une potentielle victime qu’elle a repérée et qui a attirée ainsi son attention. Sa course reprend de plus belle, alors qu’elle s’est tout juste arrêtée, la louve à son territoire, elle y tient et elle veut voir de ses prunelles dorées, l’impudent qui s’y aventure. Un mortel y aurait déjà trouvé la mort ; il n’y a pas de demi-mesure ici. Sauf que plus elle se rapproche, plus le parfum est familier, sans qu’elle ne puisse le nommer. Des réminiscences de son humanité parcourent sa mémoire. Elle connait sans réellement se souvenir.
Ses pas se font moins rapides, plus discrets, elle se dissimule dans les ténèbres, observant avec un certain amusement la bête qui marche en contrebas. Il n’y a plus d’agressivité, elle se souvient juste de cette flagrance qu’elle associe à de bons moments. Ça lui suffit, en tout cas pour l’instant.
La louve est joueuse, bien plus que prudente, péchant par sa jeunesse. Elle se terre au sol, tenant à rester invisible, pourtant, un grognement sourd dévoile sa présence. Et elle attend. Trouvera. Trouvera pas ?