Who are you ? [Pv Gabriel]

Who are you ?

Les bagarres dans les pubs, les boîtes, les bars, les night-club... C'était ma spécialité. Je savais où frapper pour faire mal, pour mettre l'adversaire à terre. J'avais la force du loup pour m'assurer de prendre le dessus. De mémoire d'homme, je n'avais jamais perdu une bagarre, sauf quand j'étais complètement bourré et que j'arrivais à peine à tenir  sur mes jambes.

Mais là... Là, j'avais aucune excuse. J'ai perdu, putain. Perdu contre un bourge tout propre, tout clean. En plus, c'était moi qui ait engagé la bagarre. Pour rien, en plus. Je l'ai heurté, j'ai renversé de la bière sur mon pull. Le genre de trucs dont je me fous, d'habitude, mais ça m'a servi de prétexte pour me défouler. J'avais besoin de cogner quelqu'un.

Ce type m'a étalé. Quelques coups et j'étais à terre. K-O. Merde... La honte, quoi. Qu'est-ce qui m'est arrivé ? J'avais même pas encore bu... J'étais sobre, en forme, clean. Et il m'a battu. Sans difficulté. J'ai été jeté dehors, bien sûr. Je ne m'attendais pas à autre chose.

Je ne comprenais pas ce qui s'était passé. J'aurais dû l'étaler. J'aurais dû gagner. A la place, il m'avait joliment refait le portrait et j'avais été remis à ma place. Par un humain. Mais peut-être qu'il n'était pas si humain que ça... Il avait une odeur bizarre. Presque... magnétique...

Le genre de senteur qui me pousserait à suivre une piste, contre toute prudence, contre toute mesure... C'était inhabituel. C'était bizarre. Etait-il un loup-garou, lui aussi ? Probablement d'un rang plus élevé que Maî...  que Bruce. Même lui ne m'avait jamais fait un effet pareil... Comme si je respirais le fumet d'une pâtisserie particulièrement appétissante... Tentante et pourtant empoisonnée. Difficile de décrire ce que ce gars m'inspirait...

Je ne pouvais pas retourner dans le Night Club. Mais je n'allais pas rentrer chez moi. Il fallait que je mette ça au clair. Que je comprenne de quelle personne une telle odeur pouvait provenir. Et qui était capable de m'éclater la tronche aussi facilement, également.

J'ai attendu. Quand je traquais quelqu'un, je pouvais être patient, très patient. Attendre des heures sans rien faire ne me dérangeait pas, j'étais trop concentré sur son odeur, ou plutôt l'absence de celle-ci, pour songer à m'ennuyer.

Sa senteur parvint progressivement à mes narines. Je me dissimulai à l'angle d'un bâtiment, l'observant attentivement. C'était vraiment un loup-garou ? Il dégageait quelque chose de complètement différent, par rapport à Bruce. Peut-être parce que c'était un Alpha, un véritable Alpha. Enfin, je n'avais qu'à le suivre pour le savoir.

Je restais à distance, me faisant aussi discret que possible, malgré la légère ivresse que me procurait la senteur du présumé loup-garou. Il ne pouvait pas être un humain banal. Aucun être humain ne me faisait cet effet-là. Nul homme ne m'avait battu de la sorte. Je ne voyais pas ce qu'il pouvait être d'autre qu'un loup-garou Alpha...

Je ne devrais pas le suivre. Je savais que c'était stupide, profondément débile, mais... c'était plus fort que moi. Une envie irrépressible. Un besoin irrésistible. Le suivre. Avoir la réponse à mes questions. Comprendre. Réussir à le battre, peut-être...

Ce sentiment me fit manquer de prudence. Je n'avais fait que quelques pas, mais, déjà, mon pied s'égarait bruyamment dans une flaque d'eau. Merde. Je me cachais rapidement, mais j'étais certain qu'il m'avait entendu. Il n'allait probablement rien en penser... Se dire que ce n'était qu'un chat errant ou quelque chose dans le genre...

Pourtant, je l'entendis approcher. Et, bientôt, je me retrouvais pris au piège. Un rire nerveux m'échappa :

"Hem... Charmante soirée, hein ?"

Prendre la suite n'était pas une solution envisageable... S'il était plus fort que moi, il était probablement plus rapide également. Réfléchis, Clyde, réfléchis !

"Euh... Wow, j'suis bourré comme un coing, vaut mieux que j'rentre... A... A une prochaine !"

Il fit un pas, mais l'envie d'en savoir plus était trop forte, trop pressante. Il s'arrêta dans sa démarche, plantant son regard d'un bleu profond dans celui du supposé Alpha :

"Mais t'es qui, toi ?"

C'était là toute la question... Qui était-il ? Un loup-garou, sûrement... Un Alpha, supposément... Et un danger, certainement. Un redoutable et irrésistible danger...

Who are you ?

Je devrais me barrer. Je le sais. Je le sens. Pourtant, je restais sur place. A l'écouter rire, probablement à se ficher de ma tronche. A recueillir ses réponses avec un certain scepticisme. Seulement le mec que j'avais tenté de massacrer, hein ? C'était là le mystère, justement ! Personne ne me battait aussi facilement ! J'étais un loup-garou, bon sang ! J'avais assez de force pour étaler n'importe quel abruti d'un simple coup de poing. Mais c'était lui qui m'avait battu. Lui qui m'avait mis K.O. Seulement, hein ?

Il me demanda qui j'étais. Si je le suivais pour lui demander son numéro. N'importe quoi. Je le suivais parce que... parce que... J'étais pas bien sûr, en fait. Parce qu'il m'avait refait le portrait et que je voulais me venger ? Non. Non, c'était pas mon intention. Je n'avais pas la tête à ça. Je ne souhaitais pas le frapper, juste... comprendre. Et... Et je voulais aussi savoir pourquoi il avait cette odeur si particulière...

Merde, alors, je pouvais pas lui dire que je l'avais suivi parce qu'il sentait bon ! C'était ridicule, débile, stupide ! Mais... Mais c'était la vérité. Il exhalait un parfum particulier, le genre de senteurs que je n'avais jamais attribué à personne d'autre. Même l'odeur de Bruce n'avait jamais été aussi "forte" pour moi... Aussi dangereusement attirante...

Je ne pouvais définitivement pas lui dire ça. Je me contentais de hausser les épaules et de marmonner d'un ton peu convaincu :

"Je veux juste savoir qui est le type qui m'a éclaté pour lui rendre la pareille, un jour..."

Il n'allait pas y croire. Je n'y croyais pas moi-même, en vérité. J'avais encore deux-trois trucs à apprendre dans le domaine du mensonge. Bruce ne m'avait jamais enseigné ce genre de tours. Juste à faire le beau et obéir. Un frisson me traversa à cette pensée. Merde. Arrête de penser à lui. Ta vie ne tourne plus autour de ce mec. Arrête.

Surtout que j'avais l'impression désagréable qu'il pouvait lire en moi comme dans un livre ouvert. Qu'il pouvait deviner toutes mes faiblesses dans le regard que je lui renvoyais... Et s'il en était vraiment capable ? Y avait un tas de trucs que je souhaitais vraiment que personne ne sache, que personne ne découvre ! Ne pas penser à Maî... Bruce. Bruce, merde !

Sa question me désarçonna, me faisant hausser un sourcil. Un chien mouillé ? Il avait deviné ? Il l'avait peut-être senti... Je devais avoir une odeur particulière, comme lui. Mais créature damnée ? J'vois pas ce qu'il veut dire... Ca sert à rien de lui dissimuler la vérité. Il sait tout. Et je suis naze pour mentir, de toute manière.

"J'suis le toutou de personne, si c'est ça que tu demandes. Si tu veux que je rejoigne ta meute ou je ne sais quoi, laisse tomber, j'ai déjà donné."

Hors de question d'être à nouveau à la solde de qui que ce soit. De permettre à un autre de décider de ma vie, de mon quotidien, de la personne que j'étais supposée être. J'étais Clyde Moreau, détective, loup-garou, maître de mon destin. C'était mon identité, celui que j'avais choisi d'être. Je n'étais plus le louveteau de qui que ce soit, le chienchien d'un maître qui me dominait. Non. Tout ça était derrière moi. Définitivement.

"T'as pas répondu à ma question. T'es qui, toi ? Un Alpha ? Imagine pas que je vais me soumettre à toi parce que tu m'as battu une fois, t'as eu du bol, voilà tout. J'avais bu un verre de trop."

N'importe quoi. J'étais complètement clean. J'avais à peine commencé à boire lorsque notre altercation avait eu lieu. J'avais juste envie de me défouler un peu, de laisser toute cette colère accumulée au fil des années s'exprimer au détour d'une petite bagarre. J'avais pas imaginé que ce type pourrait m'aligner comme ça... Merde... J'étais solide, pourtant. Il m'avait frappé suffisamment fort pour laisser des blessures qui allaient mettre un peu plus de temps à cicatriser qu'à l'ordinaire.

Il me rendait nerveux. Mal à l'aise. Son odeur me perturbait, j'étais tenaillé par l'envie folle de me presser tout contre lui et de humer ce parfum à pleins poumons. Mauvaise idée. Très, très mauvaise idée. Je sortais un paquet de clopes de ma poche avant d'en allumer une, espérant atténuer quelque peu l'effet que son parfum produisait sur moi.

Alors, c'était ça, être un Alpha ? En imposer suffisamment pour insinuer dans les esprits de ses semblables une espèce de tendance à la soumission ? Flippant, j'avoue. En tout cas, je n'avais pas l'intention de le laisser avoir le dessus sur moi. J'étais un loup sauvage, pas un vulgaire toutou de compagnie. Lui proposant une cigarette pour entamer une conversation plus courtoise, et surtout éviter une nouvelle bagarre que j'allais probablement perdre, je repris d'une voix curieuse :

"J'sais toujours pas qui t'es, hein."

J'hésitais un bref instant, pesant le pour et le contre, avant de me décider à me présenter :

"Clyde Moreau. Et, j'répète, j'suis pas un clébard ou un toutou ou quoi que ce soit du même genre. T'avise pas de me sous-estimer."

Voilà, les choses étaient claires entre nous. Enfin, je l'espérais...

Who are you ?

Enfin, il s'était présenté. Je m'étais demandé si j'allais devoir continuer à jouer aux devinettes encore longtemps... Gabriel. L'archange ? J'connais pas. Enfin, vaguement... Je l'avoue, la religion, c'est pas exactement le truc que j'ai étudié en priorité pour bien m'intégrer. J'avais d'autres machins plus importants à assimiler. Savoir m'habiller tout seul. Lire correctement. Ecrire de façon lisible. Tout ça, quoi.

Il était le propriétaire du Night Club. Evidemment. C'est vrai, pourquoi m'en prendre au premier péquenaud du coin que j'aurais étalé sans difficulté ? A la place, il avait fallu que je me bagarre avec le type en charge de la boîte. Je n'allais probablement pas pouvoir y retourner de si peu...

En plus, il avait fallu qu'il ne soit pas humain. D'après ce qu'il me disait, il n'était pas un loup-garou. Il serait plutôt une... sangsue ? C'était nouveau, ça. J'pensais pas qu'il existait d'autres créatures que les loups-garou. C'était tout ce que j'avais croisé au cours de ma vie. Une sangsue, ennemie des loups-garou... Oh, ça y est, je sais !

La connexion se fit dans ma cervelle. Je ne pus empêcher un sourire narquois de s'étirer sur mes lèvres :

"Tu veux dire que tu brilles au soleil, c'est ça ? Le genre "boule disco" ?"

Ma connaissance des "sangsues", ou plus précisément "vampires", était quelque peu limitée. J'avais vu ce film, un jour, à la télévision, une histoire d'ados ennuyeuse au possible dont j'avais vite décroché. Ca existait donc réellement, les vampires... Mon regard s'attarda sur Gabriel. J'avais du mal à m'empêcher de rire. Il devait être vraiment ridicule, à la lumière du jour...

J'avais néanmoins regagné très vite mon sérieux lorsqu'il avait parlé de me soumettre. Non. Hors de question. S'il croyait que j'allais courber l'échine devant lui parce que sa peau brillait au soleil, il se trompait lourdement. Personne ne me commandait. Personne ne me dictait mes choix de vie. J'étais mon seul maître et l'existence que je menais était le fruit de mes décisions et uniquement des miennes.

Le sourire qu'il me lançait me mettait mal à l'aise. Il avait l'air sûr de lui... Il était peut-être plus puissant que je ne le pensais. Il m'avait déjà étalé par terre en quelques coups. S'il s'y mettait à fond, je n'aurais sûrement aucune chance. Merde, c'est quoi, les faiblesses des vampires ? Pourquoi j'ai pas regardé plus attentivement ce film à la noix ?

J'allais essayer de gagner du temps. Ca allait peut-être me permettre de trouver une issue... et surtout de rassembler mes esprits, un semblant de raison. Au fond de moi, je n'avais aucune envie de partir. D'étouffer cette odeur à l'aide de ma cigarette, dont je tirais régulièrement quelques taffes. Merde, enfin, même son idée de soumission ne me paraissait pas si désagréable que ça, qu'est-ce qui était en train de m'arriver ?

Je secouais la tête pour remettre de l'ordre dans mes pensées. Ressaisis-toi, ne te laisse pas avoir. C'est peut-être un truc de vampires, une astuce ou je ne sais quoi encore...

"J't'ai déjà dit que j'avais pas l'intention de me soumettre ! T'es bouché ou quoi ?"

Je perdais mon calme. Ce n'était probablement pas la meilleure des idées. Si je l'énervais et qu'il lui venait à l'idée de me casser la figure, je ne serais pas de taille à l'en empêcher. Qui sait ce qu'il me ferait, alors ? Peut-être qu'il me viderait de mon sang... Cette idée me donnait la nausée...

Mon regard s'aventura vers la sortie de la ruelle. Je pouvais m'enfuir. Peut-être qu'il ne me retiendrait pas... Peut-être qu'il ne me poursuivrait pas... Mais, malgré la fumée de la cigarette, son odeur entêtante continuait à troubler mes sens. Je ne voulais pas m'éloigner de ce parfum. Pas tout de suite. Je... J'en avais besoin...

C'était étrange. J'aurais dû détester l'odeur des vampires, s'ils étaient supposés être nos ennemis naturels. Pourtant, cette senteur-là me fascinait. Peut-être parce que j'avais toujours apprécié et respecté la puissance, sous toutes ses formes...

Je tirais sur ma cigarette, longuement. Il fallait que je garde les pieds sur terre. Que je reste maître de moi-même.

"Qu'est-ce que t'as l'intention de faire ? Tu comptes me casser la gueule une bonne fois pour toutes ou tu as d'autres intentions ?"

J'avais l'impression de me précipiter tout seul, comme un abruti, dans un piège des plus évidents. Et pourtant, je ne me retenais pas. Je ne m'en empêchais pas. Crétin.

Who are you ?

Sa référence me laissa perplexe. "Blaide" ? Jamais entendu parler. Ma culture en terme de films s'arrêtait à ce que ma télévision voulait bien me profiter et, celui-là, je ne l'avais jamais vu. Visiblement, Gabriel était très différent de ce que j'avais appris des Vampires en visionnant distraitement Twilight. Tss... Si on ne pouvait plus compter sur la TV pour faire votre éducation, où allait le monde ?

En revanche, j'avais déjà vu l'autre film qu'il avait évoqué, mais j'étais bien incapable de lui fournir une réponse aussi directe que la sienne. Si j'étais "mal foutu" sous ma forme de Loup-Garou ? J'étais le dernier qui pouvait répondre à cette question-là. Normalement, je me serais contenté de me taire ou de grogner vaguement pour pouvoir changer de sujet et éviter d'avouer mon ignorance mais, pour une raison inconnue, je ressentais le besoin d'être franc auprès de Gabriel. Sa fichue odeur, probablement...

"J'en sais rien. J'me rappelle pas vraiment de mes nuits de pleine lune. Et dans le peu de souvenirs que j'ai, j'ai pas croisé un seul miroir ou quoi que ce soit du genre. Donc, ouais, peut-être. Peut-être pas. J'sais pas."

Mais je savais à quoi Bruce ressemblait, lui. Nous avions passé un certain nombre de nuits de lune pleine ensemble et les quelques souvenirs qui me restaient de ces périodes me tirèrent un frisson involontaire. Mai... Bruce était déjà quelqu'un d'effrayant sous sa forme naturelle. Mais en loup-garou... Il était monstrueux. A cette époque, je ne pouvais rien contre lui. Et maintenant ? Je n'en avais pas la moindre idée.

Je passais toutes mes nuits sous forme de lycanthrope dans la cave de mon immeuble, en priant pour que tout se passe au mieux. Je n'avais pas de meute sur laquelle me reposer, de proie pour défouler mes pulsions et la violence inhérente à mon espèce... Non. J'étais ma seule victime. Et mes griffes laissaient leur trace sur ma peau, mes crocs dans ma chair...

Ce fut la voix de Gabriel qui me tira de mes pensées et je haussai un sourcil à sa déclaration. Plusieurs façons de soumettre l'autre ? Qu'est-ce qu'il comptait me faire, exactement ? Est-ce qu'il avait une espèce d'aptitude vampirique qu'il comptait exercer sur moi ? Une emprise sur mon esprit ? C'était peut-être déjà le cas... J'avais de plus en plus de mal à réfléchir convenablement avec cette senteur qu'il dégageait... Il fallait que je rassemble toute ma volonté pour ne pas me jeter sur lui et humer son odeur jusqu'à l'ivresse. Brr...

"Je... J'vois pas de quoi tu parles. J'me soumettrais pl... pas à qui que ce soit, de toute manière !"

Merde, ma langue avait fourchée. A tous les coups, il l'avait remarqué. Pourvu que ce ne soit pas le cas. Qu'il n'ait pas bien entendu, qu'il n'y ait pas prêté attention... Il pouvait se servir de ça contre moi. Pas la peine de lui donner de nouvelles armes contre moi, il était déjà en mesure de m'étaler d'un coup de poing bien placé. Abruti !

J'étais de plus en plus nerveux. Je continuais de tirer sur ma cigarette désespérément, mais celle-ci se réduisait en cendres à vue d’œil. Bientôt, il n'en resta plus rien et je dus me résigner à la jeter, comme il l'avait fait avant moi. Je voulais me pincer le nez, mais ce serait lui avouer une autre faiblesse et ça, je ne pouvais pas le faire. Et, même si je me refusais à l'admettre, je n'appréciais guère l'idée de me soustraire à nouveau à son parfum... L'idée m'était même insupportable.

Je haussais les épaules à la question de Gabriel. Pourquoi, hein ? Personnellement, ça me paraissait évident, ce que je rétorquais d'un ton dénué du moindre doute :

"Parce que tu peux le faire. Parce que tu es plus fort que moi. Parce que tu as l'air décidé à me soumettre et que je ne vois vraiment pas comment tu pourrais le faire autrement."

Passant une main sur mon visage dans un geste nerveux, je tentais tant bien que mal de retrouver mon calme. Pourquoi me rendait-il aussi... anxieux ? J'avais l'impression d'être affaibli, presque sous son emprise. Un instant, j'eus le sentiment d'être de retour des années en arrière, sous le contrôle de Bruce, et cette idée me donna la nausée.

Mais Gabriel ne semblait pas être comme Mai... Bruce. Lui n'aurait pas hésité à me frapper encore. A me rabaisser plus bas que terre. Me fouetter, m'affamer, m'humilier... Mais Gabriel avait beau être plus fort que moi, il ne s'était pas comporté de la sorte. Etrange. Incompréhensible. Bizarre. Il avait peut-être un plan, il tentait de me faire baisser ma garde... Il allait forcément se servir de moi ou me blesser, à un moment ou à un autre. Je ne voyais pas ce qu'il pouvait se passer d'autre...

Son regard m'intimidait. Et plus encore ses derniers propos. Une folle nuit ? C'était le genre de trucs que les filles que je payais me disaient avant de me sauver un peu de la solitude et de mes cauchemars. Mais c'était ridicule. Gabriel ne pouvait pas me suggérer ça. Je devais mal comprendre. En quoi cela lui paraîtrait intéressant ? Il avait certainement beaucoup plus d'argent que moi, il n'avait pas besoin que je le paie... Non, ça devait être autre chose. Même si j'avais du mal à saisir ses intentions, là.

Il proposa finalement de se balader, arguant que des fêtards allaient finir par débouler. Dans d'autres circonstances, j'aurais probablement attendu cet événement avec impatience, ne serait-ce que pour me défouler un peu en me battant avec d'autres ivrognes. Mais je n'avais pas encore assez bu et je me voyais mal me bagarrer sous les yeux de Gabriel. Ce serait stupide.

D'ordinaire, je ne m'attardais pas autant sur le jugement que les autres me portaient. Je m'étais habitué à ce que l'on me considère comme un moins que rien, un ivrogne, une brute, un imbécile ou je ne sais quoi encore. Mais l'idée que Gabriel puisse me voir ainsi me déplaisait singulièrement. J'avais l'impression de perdre le contrôle, ce qui était affreusement angoissant. Je m'étais juré de ne plus jamais laisser qui que ce soit me dicter mon comportement ou mes pensées. Et pourtant...

Le temps que je rassemble mes pensées, Gabriel s'était éloigné. Je levais les yeux, persuadé qu'il était parti, pour finalement le voir un peu plus loin, en train de m'attendre. Personne n'avait jamais pris la peine de patienter ainsi pour moi. Ca me faisait un drôle d'effet, difficile à décrire... Comme si je voulais rire et pleurer dans le même temps...

Mes jambes se mirent en marche toutes seules, afin de le suivre. Mon corps semblait décidé à se jeter dans ce piège envers et contre toute forme de bon sens. Très bien. Je n'étais pas de taille à lutter, de toute façon.

Lorsque je le rejoignis finalement, me crispant légèrement quand son odeur revint titiller mes narines, je lui demandais d'une voix intriguée :

"Tu comptes m'emmener quelque part en particulier ? En-dehors des pubs et des bars, j'suis pas vraiment un expert du "monde de la nuit" d'Edimbourg. Si tu as l'intention d'te bourrer, j'peux te conseiller les meilleurs coins, mais pour le reste..."

Une nouvelle fois, je haussais les épaules. Bah, il avait sûrement une idée en tête. Pourquoi aurait-il pris la peine de m'attendre, sinon ?

Who are you ?

Lorsque Gabriel m'avoua qu'il ne pouvait pas se soûler, je ne pus m'empêcher de ressentir une profonde pitié. Pauvre gars... Il buvait, il buvait et il n'était jamais ivre ? A quoi bon siroter de l'alcool, alors ? La chose perdait grandement de son intérêt. Je me laissais aller à une tape réconfortante dans son dos, imitant ce que j'avais pu voir à la télévision. Quoique... Ils y allaient probablement moins fort que ça, normalement... Oups.

"Eh ben, c'est vraiment pas de bol. Je veux dire... Si j'avais pas la boisson pour m'tenir compagnie la nuit et me faire tourner la tête, j'sais pas ce qui me resterait."

Sans l'alcool, je serais probablement écrasé par le poids du passé. Boire me permettait de dormir, de me vider la tête, d'oublier, même si ce n'était que temporaire. Bien que, de temps en temps, boire jusqu'au bout de la nuit produisait l'effet inverse. Les souvenirs se faisaient forts, vivants, puissants. L'influence de Bruce revenait de plus belle et j'avais l'impression de redevenir Son louveteau.

Mais... Mais j'étais prêt à risquer ça. Pour un peu de tranquillité. Un peu de paix. Un sommeil apaisé. Même si les lendemains, quoi qu'il puisse arriver, étaient toujours les mêmes : douloureux, vaseux et définitivement difficiles. Qu'importe. Ce qui se passerait le matin venu ne comptait pas. C'était le présent qui revêtait de l'importance à mes yeux. Cet instant où, rempli d'angoisse, je cherchais désespérément une échappatoire...

Gabriel me proposa un bar tranquille. Je n'avais pas pour habitude de le fréquenter, mais j'y étais déjà venu, une fois ou deux. L'endroit était parfait. Pas trop bruyant, pas trop peuplé. On ne devrait pas se retrouver pris dans une bagarre d'ivrognes, si tout se passait bien. Non pas que l'idée m'était particulièrement désagréable, mais, avec la défaite que j'avais subi ce soir, je n'étais pas certain d'être humeur à me lancer dans une autre bataille. J'avais mieux à faire.

Comprendre qui pouvait être Gabriel. Je savais son prénom, je savais ce qu'il était, mais... c'était là tout ce que j'avais à ma disposition. Pourquoi son odeur m'était-elle tant agréable ? La senteur même de l'alcool, que j'affectionais pourtant tout particulièrement, ne me semblait pas aussi savoureuse, aussi attractive. J'avais le sentiment qu'il me suffirait d'un rien pour perdre le contrôle et me retrouver tout contre lui, à le renifler comme le ferait un chien. Non. Non, je ne pouvais pas faire ça. Définitivement pas.

Sa question me fit hausser un sourcil. Ce que je cachais derrière mon masque... d'ours mal léché ? J'ignorais quoi lui répondre, ce qu'il attendait de moi ou ce que je pouvais lui dire, tout simplement. Je me mordis la lèvre, passant une main dans mes cheveux, avant de marmonner d'une voix hésitante :

"Je n'porte pas de masque. Y a rien d'intéressant à raconter. J'suis juste un détective qui essaie de faire son boulot et qui aime bien boire un p'tit coup. C'est tout."

J'eus un mouvement de recul quand Gabriel approcha sa main de mon visage, mais je ne cherchais pas à le fuir. Ce parfum, tout près de moi... Je ne pouvais pas y résister. Sa remarque me tira un "Quoi ?" proche du grognement, avant que ses doigts ne s'aventurent sous son menton. Je n'eus pas le temps de l'interroger sur ce geste étrange. La sensation qui m'envahit, entre chatouille et extase, me priva de toute pensée cohérente.

Mes yeux se fermèrent, mon cou se tendit et un soupir s'échappa de mes lèvres. Ce fut un bruit sourd et répété qui me tira de l'état second dans lequel ce contact m'avait plongé. Il me fallut quelques secondes pour comprendre que l'une de mes jambes s'était agitée instinctivement et frappait régulièrement le sol. Je reculais ma chaise pour échapper à ce phénomène, le souffle court, les yeux écarquillés.

Mon regard se posa sur Gabriel, un mélange d'incrédulité, de colère et de honte. Mes joues s'étaient couvertes d'une teinte rouge, reflet rubicond de mon embarras. J'avais du mal à réfléchir, à donner un sens à mes pensées.

Une part de moi réclamait à corps et à cri que ce contact se reproduise, que ces sensations intenses me traversent encore. Une autre petite part s'extasiait toujours sur l'odeur de Gabriel, de plus en plus présente. Et la dernière s'inquiétait furieusement de l'effet que cette "gratouille" avait produit sur moi. Merde... C'était vraiment pathétique...

"Ne... Ne refais plus jamais... ça !"

Les mots étaient sortis difficilement, témoignant de la peine que j'éprouvais à réfléchir convenablement. Je détournais le regard, n'osant plus soutenir le sien, murmurant d'une voix à peine audible :

"Je... J'déteste ça..."

C'était faux. Je le savais. Mais je ne voulais pas le reconnaître. Je n'avais jamais éprouvé cette sensation. Bruce n'avait pas ce genre de gestes "affectueux" pour moi. C'était la première fois que je m'y retrouvais confronté. L'idée d'être aussi vulnérable face à quelques gratouillis me mettait profondément mal à l'aise.

Il fallait que je change de sujet. En espérant qu'il ne serait pas tenté par une autre séance de gratouillage...

"J'n'ai pas de masque. Et toi, t'en portes un ? 'Fin, j'suppose que si t'as un masque, tu vas pas tout me révéler parce que j'te le demande. Ce s'rait stupide."

Je commandais une pinte de bière, espérant que mon comportement n'ait pas trop attiré l'attention. C'était vraiment, vraiment ridicule...

"Tu bois quelque chose ? J'te paie un coup, c'est le lot du perdant. Tu m'as pas raté dans cette bagarre. J'ai vraiment une sale gueule."

J'effleurais une plaie du bout de mes doigts.

"J'cicatrise vite, heureusement. C'est l'cas pour les tiens aussi ? T'as pas l'air fragile, ça, c'est sûr."

La pinte arriva. Je n'attendis guère pour la boire, la vidant presque en quelques gorgées, inapable de me retenir. La modération ? J'en étais incapable... Même si j'étais prêt à renoncer à tout l'alcool du monde pour une nouvelle séance de gratouilles...

La ferme, cerveau. Non. Plus de gratouilles. Plus jamais.

Who are you ?

Gabriel ne me croyait pas quand j'affirmais que je détestais ses gratouilles. Bien sûr que c'était le cas ! Ce... Ce truc m'avait complètement perturbé... J'en étais presque à me rouler sur la table d'extase... Non, non, plus jamais. Plus de gratouilles. Non, non, non. Et peu importe ce qu'il pouvait penser, je n'aimais pas cela. Pas du tout.

Qu'est-ce que c'était que cette faiblesse débile ? Ca y est, le premier ennemi qui se pointe me chatouille le menton et je me couche par terre ? Si ça venait à se savoir... Si qui que ce soit apprenait ça... J'étais fichu. Définitivement fichu. Buvant la dernière gorgée de ma pinte, je fixais Gabriel d'un regard menaçant, marmonnant d'une voix où se mêlaient colère et embarras :

"T'as pas intérêt à raconter ça à qui que ce soit..."

La menace ne devait pas peser bien lourd. Vraiment, qu'est-ce que je pouvais lui faire, s'il s'avisait de répandre cette histoire ? Lui grogner à la figure ? Il m'avait battu à plate couture lors de cette bagarre et j'étais à peu près sûr qu'il en serait de même à chaque fois. D'autant plus qu'il lui suffisait désormais de me gratouiller le menton pour me faire plier... Brr, l'angoisse...

Clyde Moreau, détective, Loup-Garou, soumis par un vampire grâce au pouvoir terrifiant des chatouilles. Ouaip. Je parie que cette histoire-là ne restera pas dans les annales. Autant rester dans ses bonnes grâces et ne pas m'engager dans une bataille perdue d'avance. De toute manière, je ne détestais pas Gabriel. Gabriel et son odeur...

Malgré moi, je pris une grande inspiration, humant sa senteur si particulière. Son parfum remplissait mes poumons et m'embrouillait l'esprit... Redoutable. Vraiment redoutable. Il fallait que je garde le contrôle de moi-même, avant de me retrouver collé tout contre lui, à le respirer jusqu'à ce qu'asphyxie s'ensuive.

Pour faire bonne figure, je me concentrais sur ses propos, tandis qu'il répondait à ma question. Visiblement, il avait décidé d'être franc. Me jugeait-il digne de confiance ? Ou savait-il qu'il avait en sa possession un secret si embarrassant que je n'oserais pas divulguer la moindre information à son sujet ? Probablement un peu des deux... Quelque part, l'idée qu'il puisse me fasse confiance était loin de me déplaire...

710 ans ? Wow. Ca faisait beaucoup. J'avais du mal à visualiser concrètement le truc, mais... wow. Il était si vieux que ça ? Je pensais que nous avions le même âge, à peu de choses près. 710 ans... Ca me donnait le tournis. Je ne pouvais pas imaginer une vie aussi longue. La mienne me paraissait parfois s'étirer inutilement... En particulier lorsque j'étais encore dans la Cave. Toutes ces années avaient déjà été si longues... 710 ans...

William Wallace ne me disait pas grand-chose, à peine un nom que j'avais vaguement entendu par-ci par-là, mais je supposais que cela devait être impressionnant. Je m'étais bagarré avec Gabriel, j'étais certain que, lors d'une vraie bataille, il était bien plus redoutable encore. Il aurait pu me réduire en miettes en quelques coups. Mais il ne l'avait pas fait. Je lui en étais reconnaissant... Probablement.

Quant à son histoire de femme... Je supposais qu'il n'avait plus d'argent pour la garder à ses côtés. Quoique... Il ne devait probablement pas avoir besoin de ça, lui. J'étais certain qu'il n'avait même pas à ouvrir son portefeuille pour qu'on s'intéresse à lui. Est-ce que je l'enviais pour ça ? Je crois, oui. Mais je ne le dirais pas à voix haute. Ca, non.

Et enfin, il précisa une nouvelle fois qu'il était le propriétaire du Night Club où j'avais eu l'idée de lui chercher des misères. Hem... Pas la plus brillante de mes actions, je dois l'admettre... En même temps, comment j'aurais pu deviner, hein ? C'était vraiment pas de bol... Quoique... Ca l'avait mis sur mon chemin. Un mal pour un bien, je suppose...

"Ca fait une longue vie, 710 ans. J'pourrais pas, perso. Déjà que j'ai parfois l'impression que ma propre vie a trop duré... 'fin bref."

Je commandais une autre pinte, tandis que Gabriel s'attaquait à la sienne. Je ne devrais peut-être pas, mais... je ne savais pas quoi faire de mes mains. J'avais soif. Et je savais qu'il me suffirait d'un rien pour ne pas résister et m'emparer de la boisson qu'il était en train de siroter. Je n'étais pas sûr qu'il apprécierait le geste, à dire vrai...

La conversation se poursuivait et on en était arrivés au sujet qui fâche. 'Fallait bien que ce soit abordé, même si je détestais en parler ou y penser. Depuis quand étais-je un lycan, hein ? Mal à l'aise, je pris ma pinte entre mes mains, buvant une autre gorgée, cherchant soigneusement mes mots :

"La vraie question, c'est d'savoir si j'ai été humain un jour. J'm'en rappelle pas. Pour moi, ma vie a commencé quand on m'a transformé. Je ne sais pas qui j'étais avant."

Voilà, c'était tout, on s'arrête là. Pas un mot de plus. Il en savait presque déjà trop. Je n'allais pas parler de Bruce, de la Cave ou de quoi que ce soit d'autre. Personne ne devait savoir. Pour une raison qui m'échappait, j'étais déterminé à ce que Gabriel, plus que tout autre, n'en ait pas la moindre connaissance. Qu'il ignore l'existence de cette part qui m'était inhérente.

L'idée qu'il puisse tout savoir me débectait. Il était déjà parvenu à abaisser toutes mes défenses avec ses gratouilles et ce parfum qu'il exhalait... Mais ça, il ne pouvait pas l'apprendre. Il en était hors de question.

Plongé dans mes pensées, j'avais vidé ma deuxième pinte sans vraiment le réaliser. J'observais le fond de mon verre d'un regard contemplatif, songeant à réitérer ma commande. Mes yeux allèrent de Gabriel à ma pinte, sans pour autant se fixer durablement sur l'un d'eux. D'un côté, l'alcool m'appelait, comme il savait si bien le faire... Mais je savais comment ça allait se terminer. Comment cette soirée s'achèverait. Est-ce que je voulais vraiment que Gabriel ait à supporter ça ?

Un soupir m'échappa et je poussais sur le côté ma pinte, résistant tant bien que mal à la tentation. Il fallait que je pense à quelque chose... Et non, ce ne serait définitivement pas à ses gratouilles ou à son odeur ! Non, non...

"On est censés être ennemis, alors ? Perso, j'suis pas trop de cette humeur-là, ce soir... T'en dis quoi ?"

J'eus un ricanement :

"C'est toi qui auras le dernier mot dans cette histoire. Vu comme tu m'as étalé, j'ai vraiment pas envie de t'avoir comme ennemi. Mais c'est toi qui vois. Les nôtres se battent, et alors ? J'ai jamais eu l'intention d'obéir à des instincts ou j'sais pas quoi... J'fais même pas partie d'une meute. A quoi bon ?"

Mes pensées allèrent à Bruce et un frisson me parcourut brièvement. J'étais sûr qu'il avait un avis sur la question. Qu'il n'aurait pas hésité à me lâcher sur "l'ennemi", à me pousser à combattre Gabriel. Même si cela devait me mener à la mort...

"J'suis plutôt d'avis qu'on passe une soirée sympa et qu'on emmerde le reste du monde et leurs principes ! T'es pas d'accord ?"

Un sourire maladroit s'étira sur mes lèvres. Je l'aimais bien, Gabriel... Peut-être même qu'on pourrait être amis...