Good night to fight (Salem)

Danhaël analyse rapidement la situation dans laquelle elle se trouve. Et le constat est assez simple à faire. Elle est dans la merde. Pas la petite qu’on écrase sous la chaussure sans vraiment la voir. Non. Celle qui embaume à des kilomètres à la ronde. Elle ne perd pas son temps à essayer de savoir comment elle s’est retrouvée là. Habitué que sa grande gueule lui attire quelques ennuies, elle est juste surprise de n’avoir pas vu venir le guet-apens. Quand bien même elle n’aurait pas pu y échapper, elle aurait au moins pu s’y préparer. Loin de céder à la peur, elle prend le temps de s’allumer avec une lenteur calculé sa cigarette, de son Zippo tout juste sorti de sa poche. Inspirant une longue bouffée avant d’enfin ouvrir la bouche, contemplant tour à tour les trois hommes qui lui font fasse.
- Et sinon, ça va ? Enfin, ça va pas trop vous foulez d’s’en prendre à trois à une demoiselle… Non parce que j’peux vous laissez l’temps d’aller chercher d’autres copains si ça peut vous rassu…
Le poing qui s’abat contre son ventre lui coupe tour à tour la parole puis la respiration. Ça commence bien. Ça lui apprendra à faire la maline. Pourtant, jusqu’à maintenant, elle était plutôt fière de son petit coup de tout à l’heure. Celui qui lui avait valu de se retrouver dans une ruelle, derrière un bar miteux.

La soirée avait pourtant bien commencée. Une petite virée dans un bistrot, une bière à la main, à discuter avec un  des habitués. Cliente régulières des lieux, elle aimait bien lui faire la causette. Si il délirait un peu dépasser une ou deux bières, il avait toujours de bonnes histoires à raconter. Il avait voyagé dans les quatre coins du monde avant de venir se perdre ici et ne manquait jamais d’une bonne anecdote. Danhaël l’écoutait avec passion, jusqu’à ce qu’une main vienne claquer ses fesses.
- Et ce joli p’tit cul, il a un nom ?
Sa réaction fut immédiate. Elle s’était retournée et avant même d’y réfléchir, ses doigts refermés avaient été dire bonjour à la joue du malotru, qui n’eut guère le temps de savourer sa connerie, ni de finir son rire gras.
- Ouais, et c’est pas touche. Maintenant tu r’tourne faire le con dans un coin  du bar qu’on n’est pas à voir ta sale gueule.
Il avait serré les dents, n’appréciant visiblement pas de se faire ainsi remettre à sa place devant tant de monde, il aurait bien répliquer, mais le barmaid que Dan connaissait bien, s’était chargé de lui indiquer la sortit. Un signe de tête en guise de remerciement et pour la jeune femme, l’incident s’arrêtait là. Après tout, il avait joué, il avait perdu, pas de quoi en faire un drame.
Mais il y a des hommes qui ont visiblement un égo démesuré et une fierté là où elle ne devrait pas l’être. Alors à la sortit du bar, il l’avait attendu avec deux amis, même si pour le moment, ils n’étaient que spectateurs.
- Tu la ramène moins, là, hein ?
Une main sur son ventre, plié en deux, Dan relève ses iris sombres vers l’imprudent. La peur ne fait pas partit de son caractère. Et la louve qui grogne en elle ne l’invite pas au calme et à l’apaisement. Bien au contraire. Sauf que, quand bien même elle a quelques maitrise des combats de rue, elle ne fait clairement pas le poids à l’heure actuelle.
- Oh ta gueule… Te faut deux autres cons pour réussir à sortir tes corones, alors fais pas chier.
Elle se redresse, retrouvant rapidement son souffle. Faut dire que sa condition l’aide à plutôt bien encaisser.
- ça y’est, c’est bon ? T’es content ? T’as prouvé que tu pouvais cogner une femme sans trop d’soucis, on peut passer à autre cho…
Et bah non, une deuxième fois, elle est coupée dans sa repartit légendaire. Cette fois ci, le coup s’abat sur son visage et le goût métallique du sang vient tirailler la bête en elle. Une autre nuit, la donne aurait été différente.

Elle pouvait la sentir. Cette rage qui n’avait rien d’humaine. Couler dans ses veines, se disperser dans chaque fibre de son être, jusqu’à atteindre son âme, s’y distillant toujours un peu plus à chaque battement de cœur, annihilant la peur, éloignant la raison. Un poison brulant, qui pourtant lui tire un sourire presque carnassier. Lutter ne servirait à rien. Danhaël a beau être jeune, c’est une leçon qu’elle a déjà apprise. Tout comme la douleur qui faut laisser se rependre, la colère, elle l’accueille les bras grand ouverts.
L’adolescente ne compte pas perdre sans se battre. Car oui, elle perdra mais pas sans avoir brisé quelques os, pas sans avoir fait couler le sang. C’est eux qui ont commencés et si elle n’aurait pas le loisir de finir, elle aura au moins l’occasion de leur faire regretter leur geste. C’était le dernier coup qu’elle prenait sans répliquer. Sa patience à des limites, pas sa rancune. Elle pouvait comprendre que sa repartit n’avait pas plu dans le bar. Elle était prête à accepter le premier châtiment, soit. Y’avait pas de soucis et elle s’en était déjà remise. Mais fallait pas non plus pousser mémé dans les orties. Elle se redresse, essuyant d’une main le vermeille qui souille ses lèvres toujours étirées par son sourire. Elle inspire un grand coup, ses doigts se refermant… Avant de tourner son regard vers l’entrée de la ruelle, quelques secondes avant que le jeune homme qui s’y trouvait ne prenne la parole.

Cette odeur. Ce parfum. Si familier alors même qu’elle ne l’avait jamais respiré. C’était étrange, mais n’ayant jamais rencontré un autre Lycan, elle ne parvenait pas à le nommer. Ça éveillait quelque chose. Comme un instinct. Elle ne comprenait pas et ça accaparait déjà ses pensées alors que la situation ne s’y prêtait pas. La puanteur des trois énergumènes lui semblait beaucoup moins supportable face à ce parfum. Etrangement, c’était la Louve qui semblait y réagir. Un frisson lui parcouru l’échine, remontant le long de sa colonne vertébrale.
Il réagissait comme elle. Prenant la situation avec une certaine dérision et une repartie certaine. Sauf que leurs interlocuteurs non visiblement aucun sens de l'humour.
Dan s’appuie contre le mur, ce n’est pas qu’elle est mal, la douleur passe toujours rapidement chez elle, c’est qu’elle est ainsi mieux calé pour observer la scène. Son héros du soir semble totalement sûr de lui et elle doute que cette assurance soit surfaite. Il y a quelque chose chez lui qui souffle sur les braises de sa curiosité. De même que ce petit spectacle qui se joue sous ses yeux. Elle en déduit beaucoup, juste en observant. N’en déplaise aux mauvaises langues, elle n’est pas stupide et quand cela l’intéresse, elle apprend vite. Ce glapissement, rajouté à son odeur et cette plaie profonde et fraiche qui pourtant semble déjà se résorber. Danhaël se refuse à s’emballer, elle refuse d’y croire, persuadé de se laisser aller dans un espoir vain.

Elle a besoin de se défouler, alors l’invitation du héros tombe à pic, même si elle est lancée par plaisanterie, la jeune femme ne se le fera pas dire deux fois.
– Volontiers, j’prends la grande gueule, là.
Celui qui a tout déclenché. Celui qui l’a frappé. Et à un contre un, la donne est différente. Qu’il cogne autant qu’il veut, Dan se charge d’encaisser et de répliquer. Plus petite, plus agile, plus rapide avec l’avantage d’une colère assumé et contrôlée. Elle ne va pas se mentir, elle adore ça. L’adrénaline, la douleur, les battements rapides de son cœur, les soupirs de douleur qu’elle lui tire, ça éveille le prédateur, la laissant presque sur sa faim quand la partie se termine. Finalement, elle aura gagné. Avec un petit coup de pouce. De nouveau, elle s’appuie contre le mur, reprenant son souffle, laissant la souffrance affluer par vague jusqu’à ce qu’elle se retire. Elle passe une main dans ses cheveux sombres pour les retirer de son visage, un éclat de rire franchissant la barrière de ses lèvres, comme un écho à celui du héros.
- A mon avis, c’est une mode qui leur déjà passée. Elle vérifie que son Zippo est toujours dans sa poche. – ça ira déjà mieux quand tu m’appelleras Dan… Et oublie l’vouvoiement, on vient d’cogner des types ensembles, ça forge des liens ça, non ?  Un sourire, tandis que son regard se porte dans celui de l’inconnu à la familiarité qu’elle ne peut nommer. – Et merci d’ailleurs... Un coup d’main n’était pas d’trop. Elle le détaille. Sans aucune gêne, cherchant le pourquoi de cette curiosité qui la tiraille de plus en plus, stoppant son regard sur la blessure qui n'était plus. – J’t’offre un verre en guise de remerciement.
Elle s’étire quelques instants, savourant l’exercice de la soirée. Y a rien de mieux pour se sentir vivant. Quant à l’invitation, elle n’est pas si anodine que ça. Dan veut comprendre. Et y a peu de chose qu’elle n’arrive pas à obtenir.

Bien que Danhaël se refusait à s’emballer. A croire en l’impossible, en l’occurrence une rencontre avec un autre Lycan, qu’elle n’avait fait qu’imaginer jusque-là, il était clair que son sauveur n’était pas le commun des mortels. Il n’y avait qu’à voir comme il se battait, la manière dont il encaissait, comment la douleur le quittait aussi rapidement qu’elle le saisissait et ce parfum. Comment pourrait-elle l’expliquer avec des mots ? Ça ne se raisonnait pas, ça se vivait. Chaque fibre de son être pouvait ressentir qu’il y avait quelque chose de clairement animal chez lui. Tandis qu’elle se battait, mettait toujours plus de violence et de fureur dans ces coups pour fuir le doute et les questions qui la taraudaient, elle ne pouvait s’empêcher de le regarder lui.
Il fallait qu’elle arrête. Qu’elle reprenne ses esprits. Elle ne connaissait rien sur ceux de son espèce, si ce n’est les quelques informations que sa grand-mère détenait et qui avait des allures de légende quand elle les racontait. Selon elle, les loups étaient à éviter. La bête en eux était bien trop bien sauvage pour être contrôlé. Elle ne mâchait pas ses mots quand il s’agissait de les décrire. Et comme elle le disait si bien, elle l’aimait malgré sa condition. Sa mise en garde avait été claire, il fallait les éviter. C’était bien plus facile de contrôler l’animal seule. Pourtant, à bien le regarder, Salem, comme il venait de se nommer, avait plutôt l’air bien dans sa peau. Et apte à contrôler les excès de ce qu’il était, y avait qu’à voir à quelle vitesse détalait leurs adversaires. Alors elle doutait. Etait-il comme elle, ou se plaisait-elle à se leurrer ? Juste par envie d’y croire.

Entre nous… Que voulait il dire par là ?
Elle stoppe net le cheminement de ses pensées. Ça ne lui réussit pas de toute façon, elle est plus instinctive que réfléchit, alors autant ne plus se prendre la tête, les réponses viendraient d’elle-même, elle pouvait… Le sentir. Elle avisera le moment venu. En attendant, elle préférait faire comme si il était tout ce qu’il y avait de plus normal et garder son secret pour elle.  Advienne que pourra par la suite. Elle serra cette main tendue, surprise de tant de solennité mais se prête au jeu, retrouvant bien vite son sourire habituel et sa nonchalance.
– Une broutille, j’en ai vexé un dans son égo, t’a l’heure dans le bar. Elle haussa les épaules. – Visiblement, ça doit s’régler en bande, ce genre de connerie.
Le verre est accepté, les présentations sont faîtes et l’adolescente lui emboite le pas, se refusant à se prendre la tête. Main dans les poches, elle se contente de savourer la soirée qui s’annonce. L’atmosphère  laisse présager qu’elle est loin d’être finie.

Une fois assise, la commande passée, l’altercation n’est plus qu’un souvenir. La souffrance a disparu et elle n’en porte plus la marque. Ça à ces petits plus d’être cette dualité entre humanité et bestialité. D’autant plus qu’elle est née avec. Si il n’est pas évident de les faire cohabiter, elle ne connait que ça et sa situation lui convient parfaitement. Elle aime ce qu’elle est, n’en déplaise à sa grand-mère. Pourtant elle n’en connait pas tous les avantages. Elle ne peut faire que deviner ce qu’elle a de plus que les Autres. Supposer en fonction de ce qu’elle voit, de ce qu’elle en connait, mais cela reste une science aléatoire, alors elle ignore à quel point son ouïe est plus fine, si bien qu’elle lui répond comme si n’importe qui aurait pu saisir les brides de son murmure. Sans le voir venir.
Un haussement d’épaule et un sourcil qui se lève.
– Et… on en parle d’ta blessure ? J’me suis brise que de malheureux coup d’poing, rien d’transcendant… Toi… par contre…
Pas la peine d’aller plus loin, il sait très bien ce qu’elle veut dire. Et puis c’est lui qui a décidé de se lancer sur le sujet. Et elle douée pour éviter les questions dérangeantes du genre.
D’ailleurs, elle n’y pense que maintenant… Mais si elle est capable de sentir que quelque chose est différent chez lui, il est logique qu’il puise faire de même. Il se bat mieux aussi, il semble plus… Assuré. Son verre d’alcool tombe à pic et elle fait comme Salem, elle le vide d’une traite, sachant qu’il lui en faudra bien plus pour qu’elle en ressente les effets. La vodka lui réchauffe tout juste la gorge et la trachée, va falloir rapidement passer aux choses sérieuses.

L’esquive a échouée. C’était pourtant bien tenté mais elle n’aura pas réussi. Comme quoi, il y tenait à son sujet. Si d’un côté, Danhaël n’était pas sur de vouloir entamer le sujet, elle qui faisait tout pour garder son secret caché et tenir la promesse faîte à sa grand-mère, d’un autre, elle n’attendait que ça. Elle avait soif de réponse, autant que d’alcool. Il y a tellement longtemps qu’elle attendait ça. En rencontrer un autre, capable de satisfaire ses interrogations et surtout, rompre cette solitude qui l’asseyait chaque fois qu’elle se retrouvait entourée de mortel. Sentiment sombre et violent, qui la poussait à déserter les endroits peuplés de foule compact. Elle préférait de loin le calme des Landes qui lui apportaient une sensation de calme autant pour son humanité que pour l’animal, tapit au creux de son âme.
Et finalement, elle avait l’occasion de satisfaire sa curiosité, de savoir qu’il y en avait d’autre comme elle et tellement différent de ce que la matriarche familiale avait pu lui décrire. Il n’avait rien de monstrueux, bien au contraire. De son sourire à ses attitudes en passant par son regard pétillant, il semblait… Normal. Si il n’y avait pas eu son odeur et sa capacité de régénération, Danhaël n’aurait pas pu deviner qu’il était Lycan. Elle relève ses iris sombres quand il se fait plus rude, affichant un léger sourire. Il n’a pas tort, à quoi servirait-il de tourner en rond alors qu’ils sont semblables.
- T’excuse pas. Tu n’as pas tort.

Et les mots tombent. Il n’y a plus à se défiler, il n’y a plus de faux semblants. Il sait. Elle sait. Ça lui fait bizarre, mais en même temps, c’est un soulagement. La louve en elle s’anime, elle peut en sentir la morsure en son être, tapit dans l’ombre elle est tout aussi curieuse que son humanité, guettant dans les prunelles de son interlocuteur, la trace de la Bête qui l’habite.
- Si. Mais… Je n’en étais pas sûr. Je n’avais jamais senti c’genre de flagrance avant. Dès que tu es arrivé dans la ruelle, je l’ai senti. Sans parvenir à l’identifier.
Elle n’aurait pas cru que cela serait si simple de reconnaitre quelqu’un comme elle. Mais à présent, elle savait. C’était tout con, mais ça la faisait sourire. Combien de loup pouvait bien se cacher ici ? Parmi des mortels qui ignoraient jusqu’à leur existence ? C’était grisant, indescriptible.
– Et ouais… C’est une première. Ça s’voit tant que ça ?
Elle se doute bien de la réponse. Les Hommes ont leur us et coutumes, à travers chaque continent, chaque culture et chaque peuple, elle devine que pour les Lycans aussi, il y a des codes à connaitre. Codes qu’elle ignore. Il y a des choses que l’on ne peut apprendre seule.

Cette fois ci, l’adolescente ne passera pas à côté de l’invitation. Elle s’accorde juste le temps de plusieurs gorgées, d’un verre tout juste apportés, pour remettre un peu d’ordre dans le chamboulement de son esprit.
- J’suis ravi d’en rencontrer enfin un. J’savais bien que j’étais pas seule, hein… Mais ce n’était pas quelque chose de… Concret. ‘Tin… ça fait tellement bizarre. T’en connais d’autres ? Ça semblait primordiale pour elle, elle qui avait toujours voulu appartenir à quelque chose qui dépassait l’entendement humain. – J’dois ignorer tellement d’truc, que je ne sais même pas par quoi commencer. Le peu que j’sais, j’ai l’appris par moi-même ou par ma grand-mère, mais elle n’aime pas c’que j’suis. Alors elle n’est pas tellement objective.
Dan ne se voit pas lui mentir. Certes, elle ne le connait pas, mais savoir qu’il est comme elle, lui suffit amplement. A tort ou à raison, elle lui fait confiance, abandonnant sa méfiance habituelle. Elle ne lui parait pas de mise, en des circonstances pareilles.
- T’es née comme ça ou t’as été mordu ? Ça change quelque chose ? Y a des moyens d’mieux gérer aux pleines lunes ? De c’souvenir de… C’qui s’y passe ? ça aussi, ça comptait pour la jeune femme. A part des brides fugaces, elle ne se souvenait jamais de c’que la louve faisait. Et ça l’énervait. Parce que la sensation de bien-être qu’elle en gardait aiguisait sa curiosité.
En se rendant compte de son débit de parole, elle marque une pause, affichant un léger sourire.
- ‘Sxcuse… j’parle un peu trop.

La louve était là. Danhaël pouvait la sentir roder, animal confiné dans une prison de chair, s’accoutumant de son enfermement. D’habitude, elle se contentait d’attendre son heure, faisant sentir son impatience quand la pleine lune approchait, mais là, elle se plaisait à quitter les ténèbres pour flirter avec le monde des mortels, attirée par la présence d’une autre Bête. Elle était une moitié d’âme, complété par cette parcelle d’humanité, alors il était normal qu’elle en partage les traits de caractère. Tout aussi curieuse. Tout aussi insouciante. Attirée par les siens, qu’elle n’avait pourtant jamais côtoyée. Elle se reconnaissait dans l’animal qu’elle devinait dans les prunelles de Salem, tout en mesurant l’ampleur de leurs différences.
Bien que consciente de la présence étrange de sa dualité, l’adolescente choisit de se concentrer sur ce que le jeune homme a à lui apprendre, mettant de côté la ronde incessante de de la louve.
Presque ou tous… Il est logique que les mordus doivent apprendre le plus souvent seul à constituer avec leur nouvelle condition. Dans les histoires qu’on lui raconte, ils sont des accidents. Le fruit de la violence de la Bête qui ne sait se contrôler. Mais dans son cas, elle qui est née ainsi, elle n’aurait pas dût grandir dans l’ignorance. Elle en veut à sa mère de lui avoir caché l’identité de son père. Même si elle devait ignorer sans doute ce qu’il était… Dan avait besoin de lui. Bien avant. Maintenant. Et pour la suite. Mais non. Pour des raisons qui lui échappait, sa génitrice n’avait jamais voulu ne serait-ce que lui donner un indice, à elle… Ou même à qui que ce soit d’ailleurs. Égoïste jusqu’au bout, elle voulait garder cette idylle et les souvenirs qui lui en restait pour elle seule. – J’espère juste que ça ne sera pas la dernière… J’ai toujours voulu qu’ça arrive… Surtout les premières fois. J’sais que j’suis pas bien vielle, mais… J’avais commencé à faire à l’idée continuer seule.
Ce n’était pas qu’elle avait perdue tout espoir, c’était juste qu’elle avait dû se résoudre à faire avec ce qu’elle avait. En l’occurrence, juste elle.

Et encore, il n’imaginait pas à quel point. De toutes les créatures, qui peuplaient les mythes qui lui racontait sa grand-mère, il n’y en avait qu’une seule qui récoltait sa haine, bien plus que les Lycans… Les vampires. Et si Danhaël n’en avait jamais rencontrée, elle savait qu’ils étaient bien réels. Qui serait-elle pour supposer du contraire, alors qu’elle-même était censée être une chimère ?
La jeune femme ignorait d’où elle tenait tout son savoir, chaque fois qu’elle lui posait la question, elle se contenait d’hausser les épaules, tirant sur la pipe qu’elle se bornait à fumer, malgré son âge avancée. Un haussement d’épaule. Un sourire amusé. Un nuage de fumée. C’était tout ce qu’elle obtenait à chaque fois. Et pourtant, elle la harcelait de question depuis qu’elle était toute petite. Un jour, elle saurait, peut être quand elle arrêterait de demander. – Dans les histoires qu’elle me raconte, nous sommes bons ni pour les humains. Ni pour ceux de notre espèce. Ni pour nous même. J’sais pas où est le vrai du faux dans tout ça mais elle pense vraiment que nous sommes des… Monstres incontrôlables. Ce sont ses mots, pas les siens. Elle se demande où la vielle femme trouve la force de l’aimer quand elle voyait la haine qui l’animait pour toutes les Créatures qui peuplaient ce monde.
Peut-être. Lui-même ne sait pas si il y a une différence entre mordu et née Lycan. Il ne fait que supposer. Comme elle. Ça serait tellement plus simple si un foutu bouquin existait pour se transmettre tout ça. Quoique… Si ça se trouve, il existe. Juste, elle l’ignore.
Son attention lui était déjà tout acquise, mais alors quand il prononce le mot meute, son regard s’illumine d’une étincelle qui n’a rien d’humaine. Elle qui refuse de se plier à la moindre autorité, comprend pourtant qu’il faut un dominant. Elle qui se la joue solitaire, envie ces Lycans qui se retrouvent, allant jusqu’à parcourir les Landes ensembles. Pouvoir se souvenir, mieux contrôler la transformation, Danhaël ne faisait qu’en rêver. Pourtant, elle ne répond rien, le laissant parler, finissant de boire son verre au passage.

- J’sais pas trop. J’crois qu’au fond, elle en a peur. Même de moi parfois. J’ai pas le droit de venir la voir quand la pleine lune approche, même si c’est une semaine avant. Elle est vielle ma grand-mère. Et elle a grandi dans un petit village mexicain où les croyances et les légendes se mêlent souvent à la réalité.
Elle hausse les épaules, avant de faire un signe à la serveuse pour commander une nouvelle tournée.
- ça non plus je ne sais pas. Ma Tante a une maison de campagne, bien loin de la ville, j’vais là-bas. Les terres sont vastes et j’suppose que la Louve y a ses habitudes, son territoire.
Un sourire passe sur ses lèvres rien que sous les brefs souvenirs qui lui reste de ces transformations. L’odeur de la foret, l’excitation des courses effrénées, de bref image des Landes illuminés par la lumière de la Lune,… Elle aimerait pouvoir les saisir d’avantage, mais rien n’y fait.